par Lerna BAGDJIAN
RENCONTRE
Gagik Ginosyan est né le 3 août 1966 à Akhaltsikhe, en RSS de Géorgie. Il est spécialiste de la danse ethnographique, cybernéticien, combattant durant les guerres de l’Artsakh, écrivain et poète. Il a su concilier ces divers champs d’expertise pour un combat qu’il mène avec succès depuis plus de 20 ans: la préservation des danses ancestrales arméniennes, dont la signification et de nombreux pas sont tombés dans l’oubli au cours des 19 et 20e siècles.
Cybernéticien et militaire gradé de formation, Gagik Ginosyan s’initie à la danse par hasard à l’âge de 21 ans. C’est pour rendre service à un ami, amoureux d’une jeune danseuse, qu’il intègre l’illustre groupe ethnographique “Van” dirigé par Hayrik Muradyan. Son intérêt toujours croissant pour les origines de la danse naît suite au constat d’une absence presque totale de danses provenant de différentes régions d’Arménie, notamment Karin (Erzerum) et Akhaltsikhe, villes dont sa famille est originaire.
Son travail s’inscrit dans la lignée de grands ethnographes et historiens. Après une large étude de l’héritage musical de Komitas, il s’engage dans la collecte du folklore, animé par le fait que “discuter du travail de Komitas en ethnomusicologie serait in-complet sans considérer son travail sur les danses”. Dans ce contexte, Ginosyan visite, encore aujourd’hui, de nombreux villages d’Anatolie et d’Arménie pour collecter des pas, mélodies et rythmes des aînés.
Gagik Ginosyan poursuit également le travail de l’ethnographe Srbuhi Lisitsyan, qui a créé dans les années 1940 un système d’enregistrement de mouvement. Ainsi, en 2014, il met en place grâce à ses connaissances en cybernétique et à l’aide de la société Instigate le programme informatique “Gakavagir” de cinétographie.
En 2001, Ginosyan fonde les ensembles de chants et de danses folkloriques “Karin” et “Tsovak”. Il a restauré à ce jour 36 danses, et enregistré plus de 200, dont le premier interprète est le groupe “Karin”.
Depuis 2014, il travaille à l’intégration de la discipline nationale du chant et de la danse dans les programmes des écoles publiques en Arménie. En 2015, en collaboration avec la Fondation Ayb, Ginosyan fonde l’Académie nationale de chant et de danse, où le nouveau Centre d’études de la danse fait maintenant ses premiers pas. Le ministère de la Culture de la RA lui accorde la Médaille d’or pour “contribution significative au développement et à la diffusion de la danse nationale”.
Trouvant pour la plupart leur origine avant même l’époque païenne, les danses enseignées par Gagik Ginosyan sont le reflet de la culture arménienne millénaire. Chaque pas, rythme, fait écho à un rite ou culte. Dès l’émergence des croyances les plus simples, danser s’est naturellement lié aux rituels du quotidien. La classification des danses s’effectue selon leur sens et leurs mouvements. Chaque danse possède sa raison d’être et sa signification; l’on distingue alors plusieurs catégories: les danses dédiées à la nature, au culte de la fertilité, au travail, aux rituels, ou encore les danses militaires, qui ont donné le kochari connu aujourd’hui de tous. Les danses diffèrent également selon leur appartenance territoriale, car les conditions climatiques ont laissé une marque indélébile sur les mouvements.
Gagik Ginosyan est auprès des danseurs une figure clef. Toute son œuvre se tient sur un fondement: la transmission. La majorité des danseurs de la troupe Karin ont ouvert eux-mêmes leur propre troupe, et incitent leurs élèves à faire de même. Il n’est pas rare que Ginosyan s’introduise à l’improviste lors d’un cours donné par l’un de ses élèves, pour échanger avec les plus jeunes, corriger leurs erreurs, ou raconter une anecdote.
Depuis 2005, Ginosyan organise avec l’ensemble Karin des cours de danse mensuels accessibles à tous, “We and Our Dances”. Les derniers vendredis de chaque mois, plus de deux cents danseurs, amateurs ou touristes, petits et grands, se réunissent à Erevan pour transmettre et échanger sur les danses traditionnelles arméniennes. Initialement au pied de Kaskad, désormais au parc Tumo, les amoureux de danse ne manquent pas le rendez-vous mensuel.
La revalorisation de ces danses folkloriques ancestrales, aussi bien des mouvements que de leur signification, ne s’opère pas seulement en Arménie: certains danseurs de Erevan se sont aventurés aux quatre coins du monde pour poursuivre ce travail de transmission auprès de la diaspora. Hovan Dashtoyan a ainsi partagé ses connaissances auprès des communautés de Barcelone, Genève et Neuchâtel. Hamazasb Aslanyan s’est rendu au Brésil pour 3 mois pour transmettre son savoir aux Arméniens de Sao Paulo. Ces danses se retrouvent jusqu’en Californie, auprès de la troupe “Lernazank” fondée par Natalie Kamajian en 2019. Deux fois par mois, l’ensemble dirige des workshop d’initiation à la danse arménienne traditionnelle. La même année et avec le même objectif, la troupe de Wartan Manukyan a vu le jour à Utrecht en Hollande. Initialement 5 participants, Wartan compte désormais plus de 100 élèves et enseigne dans 5 villes.
Le travail de Ginosyan a su revaloriser des danses millénaires et parfois tombées dans l’oubli durant l’ère soviétique. Ainsi, le kochari est inscrit en 2017 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. “Une danse est une phrase dont chaque mouvement est un mot; chaque danse a des choses à nous dire, elles constituent l’identité de notre nation. La danse est l’un des seuls arts où se réunissent le corps et l’esprit. Préserver cet art, c’est contribuer à la préservation de notre nation”, défend Gagik Ginosyan.
p.s. Il est également possible de se familiariser avec ces danses en suivant les vidéos didactiques de la chaîne youtube de l’ensemble Karin.
« Danse des princes » – « Ishkhanats bar »- rassemblement mensuel organisé par la troupe Karin, dirigée par Gagik Ginosyan (vidéo par Tigran Madoyan)
[…] a jeté les bases de la science de la danse arménienne. Son successeur, Gagik Ginosyan (voir son Portrait dans le numéro 234 – juillet-août 2021 d’Artzakank), s’inspire grandement de ses […]