RENCONTRE AVEC OFELIA HOVHANNISYAN, PARIK SIMSAR ET ALIK GARIBIAN
En été 2021, Ofelia Hovhannisyan a organisé un centre aéré en Arménie axé sur l’éducation citoyenne, avec un programme conçu par elle-même pour enfants âgés de 7 à 11 ans. Le projet a été réalisé avec l’aide logistique d’Artzakank et le financement de la Fondation Armenia (Voir « Été 2021 – Jeunes bénévoles en Arménie » dans Artzakank N° 234). Nous avons rencontré Ofelia ainsi que Parik Simsar et Alik Garibian qui l’ont accompagnée dans cette aventure.
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Artzakank: Après le succès de votre premier centre aéré en 2019 dans le village de Arevatsag, vous avez organisé en juillet 2021 un deuxième camp, cette fois-ci dans le village de Yeghegnut. Pourquoi et comment avez-vous choisi ce village?
Ofelia Hovhannisyan: Nous avons demandé conseil à Raffi Garibian, membre de notre communauté, qui était en Arménie avant, pendant et après la guerre de 44 jours, et qui connaissait bien les be-soins des villages dans les différentes régions. Sur la base de ses propositions nous avons choisi Yeghegnut dans la province de Lorri car le village n’était pas intégré dans les programmes de COAF Smart Center qui propose différentes activités aux jeunes d’un certain nombre de communautés rurales de la région.
A: La guerre de 44 jours a laissé des traces profondes qui se feront sentir encore pendant longtemps pour la population d’Arménie et d’Artsakh. La situation actuelle est très différente de celle de 2019 lorsque vous avez organisé votre premier camp. Avez-vous adapté votre programme en tenant compte de la situation après-guerre?
Ofelia: Il est vrai que nous avons senti la présence de la guerre dans le quotidien des enfants à travers nos discussions avec eux. Ils avaient tous un membre de la famille qui avait participé à la guerre. Les pères de certains enfants étaient des militaires professionnels basés dans les zones frontalières. Au début, nous avons pensé qu’il serait difficile d’avoir des échanges avec les enfants sur la tolérance, l’importance du dialogue ou la prévention de la violence dans le contexte de l’après-guerre. Puis, après réflexion, nous avons décidé de ne pas changer notre programme vu que ce sont des notions universelles qui sont à la base de l’éducation citoyenne.
A: Comment avez-vous été accueillies par les enfants et les responsables (de l’école et du village)?
Alik Garibian: Il y avait énormément de curiosité envers nous de la part des enfants, des bénévoles et des responsables du village. Ils étaient intéressés de savoir pourquoi nous étions là et ne comprenaient pas comment nous pouvions être arméniens sans être originaires de l’Arménie. Il a fallu leur expliquer ce que c’est la diaspora. J’ai aussi remarqué beaucoup d’enthousiasme, ils étaient toujours ravis de participer aux activités que nous leur proposions.
Parik Simsar: Je compléterais en disant qu’il n’y a pas eu de timidité de la part des enfants. Dès les premiers contacts, les fortes personnalités se sont révélées et nous avons tout de suite compris qui étaient les petits clowns, qui étaient les enfants plus en retrait et avons très bien pu réagir en fonction de ces différentes personnalités. Nous avons été très bien accueillies. La directrice de l’école était très serviable tout en restant discrète pour nous laisser mener à bien notre programme comme nous avions prévu de le faire. Les bénévoles du village, jeunes filles de 17-18 ans, nous ont donné un coup de main bien apprécié parce qu’elles connaissaient les enfants.
A: Avez-vous été traitées comme des grandes sœurs où plutôt comme des enseignantes par les enfants?
Alik: Au début, nous étions des « enker » (camarade). Mais c’était un peu particulier puisque nous parlons un arménien différent et cela a forcément créé une sorte d’obstacle social. Cependant, comme j’ai joué au foot avec eux, petit à petit des liens se sont tissés et nous sommes devenus plus proches. Ils venaient me parler de tout et de rien. Malgré la distance à cause de la langue, nous avons réussi par d’autres moyens à créer une certaine proximité.
A: Les enfants étaient-ils réceptifs aux idées que vous avez essayé de transmettre à travers le programme « Aroghj Mijavayr »?
Ofelia: Les réactions étaient assez variées pendant les activités: certains enfants faisaient des commentaires sur les idées évoquées, ce qui montre qu’il y avait un travail de réflexion, alors que d’autres faisaient ce qu’on leur demandait de faire comme une fin en soi ou bien jouaient simplement. Mais lorsque nous leur avons demandé de rendre ce qu’ils avaient appris, notamment le dernier jour, en présence des parents, ou plutôt des mamans, nous avons constaté qu’ils avaient bien compris les notions de base. Je précise que nous avions demandé aux enfants de choisir les jeux auxquels ils voulaient jouer avec les mamans et ils devaient eux-mêmes expliquer les règles. C’était tip top, ils ont très bien transmis ce qu’ils avaient appris! Toutefois, je ne sais pas s’ils mettent ces idées en pratique dans leur quotidien.
A: Qu’en est-il des mamans?
Ofelia: Je n’ai pas eu l’impression qu’elles étaient très au courant de notre programme ou des idées sur lesquelles était axé le centre aéré.
Parik: Je pense que les mamans étaient plus enthousiastes du fait que des jeunes de la diaspora viennent faire du bénévolat en Arménie que réellement de ce que nous avons fait et des valeurs qu’on a essayé de transmettre. Elles étaient plus reconnaissantes pour ce que nous avons fait que pour ce que leurs enfants ont peut-être reçu.
Alik: Pour appuyer ce que Parik vient de dire, à aucun moment dans leur discours de remerciement il y avait une allusion aux buts de notre programme.
A: Quels ont été les défis principaux pour vous?
Parik: Pour moi c’était la langue. Il est vrai qu’Alik et moi parlons couramment l’arménien occidental mais c’était mentalement très fatiguant de devoir reformuler chaque phrase en essayant d’utiliser des tournures plus courantes en arménien oriental pour que les enfants nous comprennent, sans forcément y arriver à tous les coups. J’essayais de dire quelque chose avec leurs mots mais pas avec le bon accent et ils ne me comprenaient pas. Mais petit à petit je m’y suis habituée.
Alik: Je pense que nous avons plus appris parce qu’au bout d’une semaine nous avons commencé à parler avec le même accent. Je rejoins Parik à cet égard, c’était compliqué et je pense que j’ai plus parlé avec mes mains qu’avec mes mots. J’ajouterais qu’il était compliqué également de suivre le rythme des enfants parce qu’ils étaient très rapides et il fallait trouver une activité différente pour les occuper.
Parik: Même pendant le repas à midi, qui était censé être notre moment de repos, en 7 minutes maximum ils avaient fini de manger …
Ofelia: Pour moi aussi c’était un défi de devoir adapter le programme tout le temps. Les enfants sont différents et la même activité pour un groupe peut prendre une demi journée et pour un autre juste deux heures. Cela dépend des intérêts des enfants. Lorsqu’ils commencent à s’ennuyer, il faut vite passer à autre chose.
A: Quels sont les moments forts qui vous ont marqués?
Parik: Pour moi, c’était la journée à Erevan. Le matin nous nous sommes réveillées avec les nouvelles de deux soldats tués à la frontière. Sur notre chemin vers Erevan, nous avons vu des convois de chars qui allaient dans l’autre sens. Alik et moi étions assises à côté du chauffeur dont le fils, se trouvait à la frontière. Pendant tout le trajet, l’ambiance était tendue. Le chauffeur n’arrêtait pas de passer des coups de fil à ses connaissances qui étaient à l’armée. Mais derrière nous, les enfants, tout contents d’aller à Erevan, criaient et chantaient. Il y avait deux ambiances qui se mélangeaient. Au cours de la journée, nous avons fait nos activités et à la fin en apothéose, nous nous sommes amusés dans les fontaines, tout le monde était mouillé, tout le monde était heureux. Les enfants nous ont ramené la vie, la joie.
Alik: On peut dire qu’ils ont allégé l’ambiance. Tout au long du chemin de retour ils ont chanté des chants patriotiques. J’ai aussi été marquée par cette journée.
Ofelia: Pour résumer cette journée singulière à Erevan, on peut l’appeler « guerre et paix »! Mais ce qui m’a marquée le plus, comme à chaque fois, c’est les yeux des enfants pleins de joie et de reconnaissance envers les personnes qui font quelque chose pour eux, les enfants des villages, souvent défavorisés. Je me souviens d’Arman, l’enfant le plus turbulent du groupe, qui au moment des adieux est venu vers moi, m’a fait un petit câlin et m’a dit que j’allais lui manquer, avec un regard si émouvant.
A: Quel bilan tirez-vous de ce deuxième centre aéré?
Ofelia: Nous avons eu la chance de bénéficier de la collaboration de la directrice de l’école. Elle nous a fourni les supports nécessaires pour nos activités tout en nous laissant notre espace pour organiser la journée selon notre planning. Le dernier jour du camp, les mamans des enfants avaient organisé une fête avec le concours de la directrice. Elles avaient préparé un grand gâteau et chacune de nous a reçu un cadeau et un certificat de remerciements signé par le chef de la commune. Dans les discours prononcés à cette occasion, elles ont exprimé leur reconnaissance envers notre travail bénévole en faveur de leurs enfants. Elles nous ont demandé de revenir l’année prochaine. Par conséquent, je peux dire que le bilan est très positif. Mais il y a beaucoup à faire, une trentaine d’enfants par été n’est pas assez. C’est à cet âge-là qu’on peut faire quelque chose pour faire évoluer les mentalités, après c’est trop tard.
A: Après cette deuxième expérience, pensez-vous poursuivre ce projet pilote? Souhaitez-vous y apporter des modifications ou adaptations?
Ofelia: Oui, j’ai envie de continuer et essayer d’avoir plus de bénévoles pour intégrer plus d’enfants dans le programme. Nous pourrons peut-être organiser deux centres aérés en parallèle dans deux villages. En ce qui concerne les modifications, cette année, nous avons organisé une séance d’information avec la directrice et les bénévoles du village un jour avant le début du camp. Pour l’année prochaine, je pense qu’il serait utile de prévoir une séance d’information pour les parents aussi pour présenter les sujets qu’on va aborder avec leurs enfants. Cela leur permettra de suivre et de soutenir les idées transmises aux enfants pendant le centre aéré. Je pense également proposer à quelques enseignantes de l’école où nous irons l’année prochaine de participer au centre aéré. L’avantage est que si elles sont intéressées par l’éducation citoyenne, elles pourront intégrer les notions de tolérance, non-violence, esprit de dialogue, travail d’équipe etc. dans les règles de leur classe durant l’année scolaire et ainsi renforcer l’impact de notre travail.
A: Quels sont vos besoins pour le prochain centre aéré?
Ofelia: Nous avons besoin de bénévoles et envisageons de lancer un appel en Suisse et en Arménie probablement en février 2022. Il est important que les bénévoles partagent les idées et les valeurs que nous essayerons de transmettre aux enfants pour créer un esprit d’équipe entre nous, gage de réussite du projet « aroghj mijavayr ».