par Lerna BAGDJIAN
PORTRAIT
Régulièrement, l’EPFL publie sur ses réseaux sociaux des portraits valorisant des étudiants, alumni, professeurs ou chercheurs. Il y a quelques mois, j’ai été surprise d’apercevoir un prénom et un nom arméniens que je ne connaissais pas du tout. En parcourant l’article, les mots “patrimoine”, “préservation”, “Nagorny-Karabakh” m’interpellent. Je lis alors l’article sur Hamest Tamrazyan avec une grande attention. Je l’ai aussitôt contactée pour avoir plus d’informations, sa recherche dans un cadre académique suisse méritant d’être relatée.
Hamest Tamrazyan est une philologue spécialiste de l’anglais, professeur, chercheuse, et mère de 4 garçons. Née en Arménie, elle a déménagé en Ukraine il y a 20 ans et s’est établie avec son mari d’abord à Sébastopol, qu’elle devra fuir après l’invasion russe. En 2022, c’est alors Kiev qu’elle devra quitter.
La famille Tamrazyan s’installe en Suisse en avril 2022. Hamest rejoint le Laboratoire d’humanités digitales de l’EPFL (DHLAB) où elle travaille sur la sauvegarde du patrimoine arménien menacé par la guerre avec l’Azerbaïdjan. Dans le cadre d’une bourse, elle a proposé ce programme à l’EPFL qui a accepté sans hésitation.
Sa recherche se concentre principalement sur la préservation des inscriptions, que ce soit sur les murs des églises, des tombes, des khachkars. Elles peuvent dater de différentes époques et sont généralement en krapar, l’arménien médiéval.
Lorsque l’on parle de préservation d’héritage, la question d’échelle est fondamentale. La politique de nettoyage ethnique des autorités azerbaïdjanaises se base sur l’idée que l’Artsakh n’a jamais été un territoire arménien. Ils attribuent le patrimoine chrétien aux Albanais du Caucase. “Faire disparaître une église entière est trop visible et risqué avec les outils technologiques de géolocalisation d’aujourd’hui”, précise Hamest. Les inscriptions en arménien sont ainsi les premières choses qu’ils tentent d’effacer.
Le travail de Hamest vise à collecter ces inscriptions et à les digitaliser. Sa collecte a débuté par un grand travail de “chasse aux archives”, avec comme base notamment les précieux ouvrages de l’historien Samvel Karapetyan, expert en monuments médiévaux d’Artsakh et des régions du Sud-Caucase, qui a même certains écrits dédiés exclusivement aux inscriptions.
Elle a par la suite établi un contact avec Armine Hayrapetian, directrice du service de protection du patrimoine de la République d’Artsakh. Ses contacts directs avec l’Artsakh nourrissent actuellement sa recherche. Malgré le blocus, des personnes locales lui envoient des documents provenant des archives. Armine Hayrapetian a envoyé autour de 150 photos, mais également des informations sur l’auteur et la date, qui sont fondamentales pour contextualiser ces images. Une fois récupérées, la chercheuse annote ces multiples images via un outil développé au sein du DHLAB.
“C’était quelque chose de nouveau pour moi aussi, je ne suis ni architecte, ni archéologue, ni épigraphiste, et encore moins spécialiste des outils digitaux!”
Par la suite, Hamest s’est rapprochée de l’institution “Epigraphy Info” pour s’entourer de spécialistes. “Plus la photo de l’inscription que nous avons est récente, plus elle a du poids. Les photos digitalisées possèdent en elles-mêmes des informations de géolocalisation et temporelles très précieuses.”
L’objectif final est donc de compiler un corpus complet d’inscriptions arméniennes. Ce travail se matérialisera sous la forme d’un site spécifique dédié à cette collection en open access. L’intérêt d’un site internet, c’est la possibilité de pouvoir actualiser constamment le contenu. Hamest précise qu’à l’heure actuelle, 80% du patrimoine arménien se trouve en dehors de l’Arménie actuelle. En collaboration avec l’Institut d’Archéologie d’Ukraine et avec l’aide d’une archéologue sur place, elle a étendu sa recherche au territoire ukrainien. La dernière recherche sur le patrimoine arménien présent en Ukraine date de 1996.
Tandis que la Suisse peine à prendre des mesures radicales et à se positionner au niveau fédéral face à la situation alarmante en Artsakh et au génocide culturel en cours, l’EPFL soutient un projet qui, qu’on le veuille ou nous, est politique. Hamest affirme qu’elle n’a rencontré aucun problème majeur jusqu’à présent. “Le seul sujet délicat était l’article qu’ils ont écrit sur ma recherche. Il a fallu qu’ils le fassent valider par les autorités cantonales et plusieurs semaines se sont écoulées avant sa parution.”
Dans le cadre de conférences réunissant divers experts, elle a eu l’opportunité de se faire aborder par des épigraphes d’origine turque, conscients du génocide culturel en cours, et qui l’encourageaient à ouvrir sa recherche aux monuments arméniens situés en Turquie actuelle.
Riches en noms, dates et toponymes, les inscriptions sont une ressource inestimable pour comprendre l’histoire de l’Arménie et du christianisme ancien. Hamest mène avec ferveur ce projet qui lui est cher, tout en travaillant toujours pour la “Kyiv National Pedagogical University” en donnant ses cours en ligne.