ENTRETIEN AVEC JOËLLE HERREN LAUFER
L’entraide protestante suisse (EPER) a été parmi les premières organisations à fournir de l’aide d’urgence aux réfugiés du Haut-Karabagh dès les premiers jours de leur arrivée en Arménie. Pour en savoir plus, Artzakank a rencontré Mme Joëlle Herren Laufer, responsable médias et communication du Siège romand de l’EPER.
Depuis quand l’EPER est-elle présente en Arménie? Quels sont ses domaines d’activité et qui sont ses partenaires suisses, locaux ou autres?
L’EPER a démarré son action en Arménie en 1988, suite au tremblement de terre dévastateur qui avait frappé le pays. Elle a ensuite étendu son activité dans la région du Caucase du Sud. Au cours des 30 dernières années, l’EPER s’est attachée à améliorer les conditions de vie de la population rurale, marquée par le passé postsoviétique et désertée par la population active. Les projets visent surtout les paysan·ne·s et les personnes âgées isolées. L’EPER s’engage aussi à promouvoir une coexistence pacifique en travaillant avec la société civile, des journalistes et, plus particulièrement, la jeune génération grâce à l’organisation de camps pour la paix. Un dernier axe d’action de l’EPER est l’amélioration de la prévention des catastrophes.
Au fil des ans, l’EPER a construit un vaste réseau de partenaires locaux et internationaux, dont l’Agence de développement stratégique, l’ONG Shen, le Media Initiative Center, l’ONG Syunik Development, Armenian Round Table et Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) pour n’en citer que quelques-uns. L’EPER est également un membre actif du groupe de travail sur le plan de réponse aux réfugiés (Refugee Response Plan, RRP), sous l’égide du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce qui facilite les efforts de collaboration avec d’autres parties prenantes ainsi que l’échange d’informations.
Suite au nettoyage ethnique qui a poussé la population du Haut-Karabagh à se réfugier en Arménie, l’EPER a fourni une aide d’urgence à ces personnes déplacées à hauteur de CHF 300 000, avec le soutien de nombreuses collectivités publiques, de fondations et de particuliers. Quelle aide avez-vous fournie?
La première phase d’aide, couvrant la période d’octobre à décembre, a consisté à apporter une assistance immédiate aux personnes déplacées de force qui sont arrivées épuisées et sans ressources en Arménie. Avec l’aide de son organisation partenaire Syunik Development, l’EPER a organisé des hébergements d’urgence dans la région de Vayots Dzor pour 230 personnes. Des biens de première nécessité leurs ont été fournis, mais aussi des premiers soins psychologiques par des professionnel·le·s pour les aider à faire face aux traumatismes émotionnels et psychologiques subis. Par ailleurs, 1300 familles déplacées ont reçu de l’aide sous forme d’argent en espèces pour répondre à leurs besoins les plus urgents. C’est la forme la plus digne de soutien, car elle permet aux bénéficiaires de faire des choix en fonction de leur situation particulière.
Par la suite, une partie de l’aide débloquée par le Canton de Genève en faveur des réfugié·e·s du Haut-Karabagh a été versée à l’EPER afin de soutenir ses activités humanitaires sur place à plus long terme, pour un montant de CHF 1,5 million. Concrètement, quels sont vos programmes d’aide dans ce contexte?
Cette deuxième phase d’action est prévue depuis décembre 2023 et s’étalera sur toute l’année 2024 grâce à un crédit spécial débloqué par le Grand Conseil du Canton de Genève. L’EPER se concentre sur l’inclusion sociale et économique des personnes déplacées, afin d’améliorer leurs perspectives de s’assurer des moyens de subsistance durables. Cela passe par leur insertion sur le marché du travail en Arménie.
L’EPER chapeaute l’action selon trois axes, chacun mis en œuvre avec une organisation partenaire différente en coordination avec les autorités et les autres actrices et acteurs humanitaires.
L’ONG Syunik Development poursuit l’hébergement d’urgence et la distribution de biens essentiels et de denrées alimentaires mis en place dans la première phase d’aide. Au total, 150 personnes parmi les plus vulnérables peuvent bénéficier de ces mesures, tout comme de soins psychologiques. À cela s’ajoute un accompagnement à la recherche de solutions de logement à long terme et l’amélioration de leurs compétences pour trouver un emploi.
L’ONG Armenian General Benevolent Union (AGBU) lance un programme de perfectionnement et de développement des compétences pour 1000 personnes déplacées, afin de faciliter leur accès au marché du travail. Ce programme est complété par un accompagnement personnalisé, la création de liens entre employeurs et employé·e·s, mais aussi un soutien psychologique. Les personnes qui géraient leurs propres entreprises dans le Haut-Karabagh sont aussi encouragées à «relocaliser» ces dernières en Arménie.
Enfin, l’ONG Shen offre un soutien aux initiatives communautaires pour renforcer la cohésion sociale entre les communautés d’accueil et les familles déplacées à travers des micro-subventions à 40-50 groupes dans les communautés qui souhaitent mettre en place leurs propres initiatives. Ces initiatives atteindront 5000 personnes supplémentaires.
Quels sont les projets qui ont été réalisés à ce jour? Combien de personnes ont déjà profité de l’aide d’urgence de l’EPER?
Les actions d’urgence mises en œuvre jusqu’à présent ont permis de couvrir les besoins de près de 6850 personnes déplacées, en ciblant prioritairement les personnes les plus vulnérables, à savoir les femmes, les enfants, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou souffrant de maladies. Ainsi, 230 personnes ont été hébergées, nourries et soignées, et 1300 familles ont reçu de l’argent chaque mois pour pouvoir s’alimenter et se procurer des biens essentiels.
Qui sont vos partenaires sur place et quelles sont leurs activités?
L’ONG Syunik Development est la plus grande ONG du sud de l’Arménie et un partenaire de longue date de l’EPER. Elle gère des projets d’urgence parallèlement à ses projets et à ses initiatives de développement à long terme.
L’ONG Armenian General Benevolent Union (AGBU) est la plus grande organisation arménienne à but non lucratif au monde, qui se consacre à la préservation de l’héritage arménien par le biais de programmes éducatifs, culturels et humanitaires. Elle a prouvé son expertise en matière de valorisation des compétences et l’employabilité avec ses projets Learn to Earn Artsakh (LEAP) et Women Coders. C’est un nouveau partenaire pour l’EPER.
Shen, quant à elle est une ONG spécialisée dans l’aide humanitaire et le développement social et économique en Arménie depuis 1991. Sa force est le renforcement des capacités communautaires et organisationnelles par la participation active de ses membres, ainsi que le plaidoyer pour une amélioration des politiques de lutte contre la pauvreté. Il s’agit d’un partenaire de longue date de l’EPER.
Disposez-vous d’une structure locale qui assure le suivi des programmes et la surveillance de l’utilisation des fonds?
Oui, c’est essentiel! L’équipe locale de l’EPER, basée à Erevan et enregistrée en Arménie, est la gardienne de l’exécution du projet, avec le soutien du bureau régional de l’EPER à Tbilissi, en Géorgie. Elle veille à ce que l’approche soit vigilante et inclusive en supervisant l’ensemble du processus. C’est elle qui garantit la bonne application des normes humanitaires, des réglementations nationales et des politiques internes de qualité. Une attention toute particulière est accordée à la sensibilité aux conflits, à la sélection des participant·e·s les plus vulnérables ainsi qu’à la prise en compte des conflits dans la gestion du cycle de projet. L’équipe fait le suivi des activités en temps réel, s’assure de la bonne collaboration des partenaires locaux et effectue des contrôles rigoureux, sachant qu’il faut pouvoir s’adapter à de nouveaux besoins et développements en tout temps. Par ailleurs, l’EPER a établi des politiques en termes de lutte contre la corruption et les détournements de fonds, de protection des enfants et de prévention de l’exploitation, des abus et du harcèlement sexuels.