APRÈS 25 ANS D’INDÉPENDANCE

Le 21 septembre 1991 est une date historique pour tous les Arméniens. Ce jour-là, le peuple d’Arménie s’exprima en faveur de l’indépendance par une écrasante majorité. (…) Des festivités se sont prolongées jusqu’à l’aube dans les rues d’Erevan et elles furent ponctuées par un grand feu d’artifice sur la place de la Liberté.(…)

(Artzakank – novembre 1991)

Il y a 25 ans, le rêve des Arméniens dispersés à travers le monde devenait réalité! Après 70 ans de règne communiste, l’Arménie redevenait une République indépendante. Nous étions tous pleins d’espoir quant à l’avenir de l’Etat arménien ressuscité malgré les difficultés énormes que connaissait le pays suite aux désastres naturels, économiques et  politiques survenus les années précédentes: le terrible tremblement de terre du 7 décembre 1988 causant plusieurs dizaines de milliers de morts et près d’un demi-million de sans-abri; le blocus imposé par la Turquie et l’Azerbaïdjan; l’arrivée de quelques 500 000 réfugiés arméniens chassés de l’Azerbaïdjan et de certaines régions d’Artsakh; la politique de purification ethnique en cours par le pouvoir azéri en Artsakh, qui était encore une enclave en Azerbaïdjan.

L’année suivante, les forces arméniennes réunifiaient l’Artsakh avec l’Arménie en libérant le couloir de Latchin (rebaptisé Berdzor) après la reprise de la ville de Chouchi. D’autres territoires étaient libérés dans les mois suivants et rattachés à l’Artsakh, devenu à son tour république indépendante par le référendum du 10 décembre 1991.

Où en sommes-nous aujourd’hui?

Beaucoup de réalisations ont certes été accomplies durant ce quart de siècle sur plu-sieurs plans, une des plus importantes étant la libération de l’Artsakh. Par ailleurs, notre peuple a gagné en visibilité depuis l’adhésion de l’Arménie à différentes institutions inter-nationales. Chaque fois que le drapeau tricolore arménien est hissé ou l’hymne national «Mer Hayrenik» retentit lors des compétitions internationales ou d’autres évènements mondiaux, nos cœurs se rem-plissent de fierté et d’émotion. Erevan est devenue une ville moderne et attrayante dont l’offre touristique peut satisfaire les visiteurs les plus exigeants. Cependant le charme du centre-ville d’Erevan avec ses terrasses et cafés cache mal la triste réalité surtout après la guerre de 4 jours (2-5 avril 2016) et l’opération des «Sasna Tsrer» (17-31 juillet 2016).

Les chiffres terrifiants de l’émigration arménienne de ces 25 ans témoignent des conditions de vie insou-tenables pour une partie importante de la population. En effet, selon les chiffres officiels, l’Arménie comp-tait 2 995 100 habitants au 1er juillet 2016, soit 10 400 de moins qu’il y a une année. Pour la première fois depuis 1979, le nombre de la population est passé en-dessous de la barre des 3 millions alors que ce chiffre s’élevait à 3 304 800 en 1989. Les raisons hélas ne sont un secret pour personne et les conséquences irréversibles de cette saignée démo-graphique pour un pays en guerre ne nécessitent pas d’explications.

Les mouvements de protestation de la société civile, devenus plus fréquents ces dernières années, ont enregistré quelques avancées mais n’ont pas pu atteindre les résultats espérés compte tenu des mesures de répression et d’intimidation prises par les autorités en place.

La guerre de 4 jours avec son bilan particulièrement lourd – une centaine de soldats et civils tués, autant de blessés, une perte de 800 hectares de terres arméniennes et 140 familles déplacées de Talish – fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Elle mit en évidence les conséquences dévastatrices de la corruption au sein de l’armée et souleva des questions relatives à l’efficacité du dispositif arménien de sécurité. Malgré le limogeage de plusieurs officiers haut-gradés et haut fonctionnaires du ministère de la Défense, la grogne populaire ne s’apaisa pas surtout après la diffusion de reportages réalisés avec les familles des soldats tués, étalant au grand jour la misère inimaginable dans laquelle vivaient la plupart d’entre-elles.

C’est dans ce contexte douloureux qu’ont repris les négociations de paix entre les présidents arménien et azéri et a été dévoilé le contenu du plan d’accord discuté (des documents de travail relatifs au principes de Madrid et de Kazan publiés par le Centre de Recherches ANI de Tatul Hakobyan) qui prévoyait le retour de territoires libérés à l’Azerbaïdjan contre des promesses vagues sur le statut futur de l’Artsakh. Ajoutons à cela l’absence de communication claire de la part du gouvernement à ce sujet et de manière générale le manque de dialogue entre les autorités et la population.

Dans ce climat de profonde déception et de colère de la population envers le gouvernement et les oligarques du pays, la prise d’assaut par le groupe « Sasna Tsrer » d’une station de police à Erevan en juillet dernier ne fut qu’un acte désespéré visant entre autres à empêcher les concessions territoriales en faveur de l’Azerbaïdjan. Nous connaissons la suite: violence brutale et actions illégales contre les journalistes et manifestants pacifiques, interpellations et arrestations arbitraires par la police et des hommes en civil. Ces actes honteux ont provoqué de nombreuses réactions à travers le monde notamment de la part de différentes organisations de la diaspora (voir le communiqué des organisations arméniennes de Suisse en page 3). Certaines personnes ont été libérées depuis et des procédures pénales ont été ouvertes contre un nombre de policiers soupçonnés d’avoir commis des actes illégaux. Il est à espérer que les véritables auteurs de ces crimes seront identifiés et condamnés dans les plus brefs délais.

A la veille du 25ième anniversaire de l’indépendance de l’Arménie, la menace d’une nouvelle guerre guette notre peuple. Dès lors, il est impératif d’atténuer la polarisation de la société arménienne et d’apaiser le climat social très tendu. Nous attendons du gouvernement arménien des mesures concrètes et efficaces pour la mise en œuvre de réformes sérieuses favorisant le développement économique du pays, la protection des droits individuels et de la dignité des citoyens, la tenue d’élections libres et régulières dans le respect des processus démocratiques. La conjoncture géopolitique explosive et l’environnement régional imprévisible dans lesquels évolue l’Arménie imposent au gouvernement d’entamer un dialogue sincère avec la société civile et les différents partis politiques pour faire sortir le pays de cette crise. La balle est désormais dans le camp des autorités arméniennes.

Maral SIMSAR

2017-08-02T14:52:00+02:00 15.09.16|ÉDITORIAL|

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