Alexis KASPARIANS
Le Mont Analogue, première édition de Standart – Triennale d’art contemporain de l’Arménie, a été inaugurée les 20 et 22 juillet à Erevan et Gumri.
«(…) la Montagne est le lien entre la Terre et le Ciel. Son sommet unique touche au monde de l’éternité, et sa base se ramifie en contreforts multiples dans le monde des mortels», voici les termes choisis par l’écrivain et poète surréaliste français René Daumal (1908-1944) dans son roman inachevé pour définir Le Mont Analogue à la recherche duquel il lance ses personnages. Inspirée par ce cheminement, Adelina Cüberyan von Fürstenberg, la commissaire de la première édition de Standart, a invité une vingtaine d’artistes arméniens et de différents horizons à participer à cette expérience d’art contemporain inédite.
Le voyage initiatique débute en avril dernier avec le départ en Arménie des neuf premiers artistes participants, partis à la découverte des sites archéologiques et de l’histoire de la terre arménienne. «Ils étaient tous passionnés mais la plupart n’avaient aucun lien direct avec le pays, sa culture, son histoire. Ils sont tous venus avec une soif de connaissance», décrit la commissaire. Face au Mont Ararat, «éternel amour de l’Arménie», le concept à la source de la Triennale a été plus qu’évident. Inaccessible et inévitable à la fois, fort de sa présence colossale et mirage de l’histoire, Ararat ne peut être autre que le Mont Analogue, définissant ainsi de façon intrinsèque l’unique lieu où devait s’inscrire ce projet, soit l’Arménie.
Plus qu’une exposition collective, où seraient rassemblées des sensibilités diverses de façon aléatoire, Standart – Triennale d’art contemporain de l’Arménie s’est révélée être une véritable expérience basée sur la découverte de la culture, de l’art et du partage.
Une autre spécificité de la Triennale tient en son caractère national, proposant un itinéraire différent à travers le pays pour chaque édition. Cette première édition a lieu à Erevan, Gumri, Erebuni, Sevan et Kapan.
Dans la capitale, les œuvres de trois artistes incontournables de la scène contemporaine sont exposées pour la première fois en Arménie dans le cadre du Mont Analogue.
Une rétrospective de Gaspar Gasparian (1899-1966), photographe moderniste brésilien dont la famille a quitté Erevan en fin XIXe siècle, est présentée dans le bâtiment de l’UGAB, par l’historien d’architecture Ruben Arevshatyan. Considéré comme l’un des fondateurs de l’école de Sao Paulo, Gasparian raconte l’espace urbain avec un regard sensible et attentif à la géométrie du quotidien et à l’esthétique des villes.
Au Hay Art Center, ancien musée d’art moderne de la ville à l’architecture brutaliste, Ilya et Emilia Kabakov, artistes russes parmi les plus importants d’aujourd’hui, ont exposé deux de leurs installations majeures. 20 Ways to get an Apple listening to the Music of Mozart (1997), est composée d’une table monumentale au centre de laquelle trône une pomme inaccessible à la main humaine, symbole de la quête philosophique. La deuxième installation, Concert for a Fly (1986), a été inaugurée lors du vernissage avec Eine kleine Nachtmusik de W.A. Mozart joué par 12 élèves de l’Ecole Tchaïkovski d’Erevan.
A Gumri, au Musée Merkurov et au Musée de l’Architecture, Benji Boyadgian a proposé un melting pot architectonique et historique créant un fil rouge des constructions de l’Arménie, de l’antiquité à l’époque contemporaine par ses dessins à la ligne claire, mis en regard avec ses deux sculptures kaléidoscopiques réalisées par des forgerons locaux.
Giuseppe Caccavale, a creusé et inscrit dans les murs d’une pièce qui n’avait jamais été utilisée avant son arrivée, un poème d’Ossip Mandelstam extrait de son livre Voyage en Arménie. Sur son chantier, qui a duré plus d’une semaine, il a travaillé au quotidien avec des jeunes artistes de Gumri, les formant à sa technique et faisant d’eux les véritables acteurs de la naissance de cette œuvre collective.
Riccardo Arena, abordant le voyage comme moteur de sa création et traversant actuellement l’Arménie en solitaire, a fait état des ses recherches nées d’excavations archéologiques et spirituelles, sous la forme d’un laboratoire d’exploration de radiographies des cimes, avec son installation de pierres obsidiennes.
Mikayel Ohanjanyan a sculpté et gravé au diamant sur ses roches de basalte, tenues par des câbles d’acier, la lettre du personnage mythologique Mher, encourageant les hommes à se tourner vers leur for intérieur pour trouver la clé de la paix. Avec ses collages vivants d’une grande puissance évocatrice, Marta Dell’Angelo a crée un monde de fragments et de sensations recueillies lors de ses découvertes à travers le pays, alliant objets préhistoriques et accessoires de la rue. L’artiste a également largement collaboré avec des artistes de Gumri par deux performances: Tararà, ascension du Mont Aragats avec Gohar Martirosyan; et avec Aleksey Manukyan – dont l’Urban Stamp réalisé lors de la journée d’inauguration, conserve l’empreinte et le caractère éphémère du bâti – l’artiste italienne a proposé One whistle 100 dram où des glands d’Italie et des noyaux d’abricots d’Arménie ont fait résonner leurs sons perçants dans les jardins des musées.
Cette première partie du Mont Analogue peut d’ores et déjà être considérée comme un grand succès tant par la qualité des expositions, les réactions du public arménien, les échos dans les médias nationaux et internationaux, que par les relations professionnelles et humaines qui en sont nées grâce aux workshops organisés à Erevan par Armenia Art Foundation en collaboration avec Tumo tout au long de la semaine suivant les inaugurations.
Standart se prolongera dans le temps et dans l’espace, avec une seconde partie qui débutera au mois de septembre. On pourra admirer dès le 12 septembre une vaste installation de l’artiste suisse Felice Varini à la gare de Erebuni-Erevan; dès le 13 septembre, les œuvres d’artistes et d’architectes arméniens et internationaux seront présentés par Ruben Arevshatyan, dans le bâtiment moderniste soviétique de la Maison d’hôtes des Écrivains de Sevan; enfin dès le 15 septembre, s’ouvrira au Musée de Kapan l’exposition de Arman Grigoryan.
Quant au Lion d’Or, la plus haute des distinctions artistiques que le Jury de la 56e Biennale de Venise avait décerné au Pavillon national de la République de l’Arménie en 2015, il a été a officiellement remis par Adelina Cüberyan von Fürstenberg au Président Sargsyan au Palais présidentiel à Erevan, lors des journées d’inauguration de la Triennale.
Standart est né de la collaboration entre le Armenian Arts Council, la Fondation Hasratyan, ART for The World (Genève), l’Ambassade de la Suisse en Arménie et Armenia Art Foundation, avec le soutien du Ministère de la Culture de l’Arménie et de ses autres partenaires.
Alexis KASPARIANS
(Crédit photos: Maria TSAGKARI)
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