Par une décision du gouvernement arménien, chaque dernier samedi du mois d’avril, l’Arménie célébrera la « Journée du Citoyen » en souvenir de la mobilisation civique exceptionnelle qui a abouti à la révolution de velours en avril-mai 2018. Malgré le scepticisme de différents milieux quant à l’utilité de cette décision, les Arméniens ont participé en grand nombre aux manifestations organisées à Erevan et dans toutes les provinces le 27 avril 2019 pour marquer la première « Journée du Citoyen ».
Le premier anniversaire de la révolution fut aussi l’occasion de dresser un bilan des actions entreprises par le gouvernement sur les plans intérieur et extérieur. Alors que la lutte contre les monopoles et la corruption à haut niveau bat son plein, l’Arménie a amélioré son classement sur le plan international dans certains domaines tels la liberté de la presse, le système bancaire, le climat des affaires, la réalisation la plus importante étant sans doute la tenue en décembre 2018 des élections législatives considérées comme libres et justes par la communauté internationale. D’autre part, le nouveau gouvernement fait l’objet de toutes sortes de critiques, parfois non-justifiées, voire même malintentionnées, provenant de certains milieux souhaitant son échec. Des observateurs neutres, quant à eux, portent des critiques plus ou moins concordantes notamment au sujet de la politique de nomination des cadres dans l’administration et du manque de compétences nécessaires à une bonne gouvernance. Par ailleurs, la réforme de l’appareil judiciaire et la justice transitionnelle promise par le Premier ministre Pashinyan se font toujours attendre.
Malgré les changements positifs survenus à ce jour et les mesures annoncées par le gouvernement pour assurer la relance de l’économie, il est naturellement irréaliste de s’attendre à une amélioration sensible des conditions de vie de la population dans un si court lapse de temps. Par contre, les citoyens arméniens sont en droit de bénéficier plus rapidement de la mise en œuvre des valeurs humanistes universelles portées par la révolution, des valeurs qui placent l’Homme au centre de tout. La protection des droits humains, le respect de la diversité, la promotion de l’esprit de tolérance, de dialogue et de partage, le refus de la violence sous toutes ses formes, sont parmi les piliers sur lesquels devra reposer la « Nouvelle Arménie » émergeant de la révolution.
Cependant, selon les ONG de défense des droits humains, la situation n’a pas encore changé dans ce domaine. Les médias continuent de rapporter des cas de violence domestique et de violation des droits des groupes défavorisés ou vulnérables, tels la population des établissements pénitenciers, les personnes LGBTI, etc. Les défenseurs des droits de ces groupes subissent eux-mêmes des pressions et des menaces. Ces atteintes aux droits humains ne reçoivent malheureusement pas une attention suffisante de la part des autorités. Deux cas, qui ont récemment défrayé la chronique et déclenché des passions dans la société, sont particulièrement parlants.
La prise de parole au parlement le 5 avril 2019, dans le cadre d’un panel de la commission des droits de l’homme et des affaires sociales, par une femme transsexuelle, a suscité une vague de manifestations anti-LGBTI accompagnées de discours de haine. Un député et un prêtre de l’église arménienne participant à une manifestation ont tenu publiquement des propos haineux et menaçants contre l’intéressée et les personnes LGBTI de manière générale. Ces actes ont certes fait l’objet de condamnations de la part des autorités mais aucune procédure n’a été ouverte à l’encontre des auteurs de ces menaces bien qu’une plainte ait été déposée par l’intéressée. Ces faits ont fait l’objet de déclarations de la part des ambassades des pays membres de l’UE et du bureau des Nations Unies en Arménie, faisant part de leur préoccupation concernant les menaces graves, suivies de la réponse du ministère arménien des Affaires étrangères.
Début mai, un groupe d’hommes a saboté la présentation d’un livre sur la prévention de la violence sexuelle à l’égard des enfants, le qualifiant d’outil de « perversion »! La ministre du Travail et des Affaires sociales, Zaruhi Batoyan, qui a fermement condamné l’incident, ainsi que les membres de l’ONG ayant organisé la présentation du livre ont été la cible d’une campagne de haine au nom de la « protection des valeurs traditionnelles ».
La célébration de la « Journée du citoyen » est aussi l’occasion de rappeler que tous les citoyens de la République d’Arménie ont les mêmes droits et devoirs, et que la discrimination, les discours de haine et les menaces de violence n’ont pas leur place dans l’Arménie postrévolutionnaire.
Maral SIMSAR
Laisser un commentaire