Nous avons tous suivi les développements géopolitiques après les attaques militaires lancées par l’Azerbaïdjan les 12 et 13 septembre 2022 contre le territoire souverain de la République d’Arménie. Cette vaste offensive, qui a visé les villes frontalières de Vardenis, Sotk, Jermuk, Goris et Kapan a coûté la vie à plus de 200 personnes du côté arménien et a entraîné la destruction de nombreux bâtiments résidentiels et publics ainsi que des infrastructures d’eau, d’électricité de gaz, de routes, de ponts, etc. Les forces armées azerbaïdjanaises ont infiltré le territoire de l’Arménie (130 km2 selon les sources officielles) sur plusieurs fronts et s’y restent à ce jour.
En réaction à ces attaques de grande envergure plusieurs actions ont été entreprises en Suisse. Il s’agit de communiqués, d’interventions parlementaires, d’articles de presse, de lettres écrites par des individus et des organisations arméniennes en Suisse. Il n’est pas possible d’énoncer toutes ces actions mais nous en citons quelques-unes.
Dans un communiqué de presse diffusé le 14 septembre 2022, l’Association Suisse-Arménie (GSA) a demandé au Conseil fédéral de prendre clairement position, comme il l’avait fait lors de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe en février 2022, en condamnant sans équivoque cette agression militaire contre la souveraineté de l’Arménie ». Elle a également appelé le Conseil fédéral « à intervenir pour que les activités en Suisse de SOCAR, la compagnie nationale pétrolière et gazière d’Azerbaïdjan, à l’origine de 75% des recettes de cette entreprise publique, cessent d’être l’une des principales sources de financement de la guerre menée par l’Azerbaïdjan contre l’existence même du peuple arménien. »
Le 15 septembre, les Conseillers aux États Carlo Sommaruga, Charles Julliard et Lisa Mazzone ont déposé une interpellation intitulée « la souveraineté de l’Arménie est menacée » en posant au Conseil fédéral les questions suivantes:
- Le Conseil fédéral est-il prêt à se positionner clairement, comme il l’avait fait dans le cas de l’agression de l’Ukraine par la Russie en condamnant sans équivoque cette attaque unilatérale contre la souveraineté de l’Arménie?
- Est-il prêt à soutenir la discussion immédiate demandée par la France sur cette attaque auprès du Conseil de sécurité de l’ONU?
- Quel autre moyen est-il prêt à mettre en œuvre pour contribuer à mettre fin à l’agression de l’Azerbaïdjan?
- Que compte-t-il faire pour contrer le financement de cette guerre dérivant des recettes réalisées par l’Azerbaïdjan en Suisse sur les matières premières? Cette interpellation n’a pas encore été traitée.
Le 19 septembre, à l’heure des questions du Conseil national, en réponse à la question – posée par huit conseillers nationaux (Sibel Arslan, Marianne Streiff Feller, Stefan Müller-Altermatt, Alex Farinelli, Laurence Fehlmann-Rielle, Andreas Gafner, Fabian Molina, Vincent Maître) – de savoir si le Conseil fédéral était prêt à prendre une position claire, comme il l’a déjà fait lorsque l’armée russe a envahi l’Ukraine en février 2022, et a condamner sans ambiguïté l’agression militaire contre la souveraineté de l’Arménie, le Conseil fédéral a répondu:
« La Suisse est préoccupée par les récents affrontements militaires entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ainsi que par les rapports faisant état de nombreuses victimes dans les deux pays. La violation de l’accord de cessez-le-feu trilatéral (ARM, AZE, RUS) est une évolution inquiétante. La Suisse suit de près les circonstances de cette escalade. L’intégrité territoriale des deux États doit être garantie. Le DFAE est en contact étroit avec les parties au conflit et leur demande de cesser immédiatement les hostilités. Les négociations doivent reprendre au plus vite, afin de trouver une solution durable et pacifique au conflit. La Suisse appelle également les parties à respecter le droit international, en particulier le droit humanitaire et les droits de l’homme, et à protéger la population civile et les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités. »
« Plus de génocide en Arménie »: C’est le cri d’alarme qu’a lancé Christian Solidarity International (CSI) dans sa lettre adressée au président de la Confédération Ignazio Cassis le 15 septembre 2022 appelant la Suisse à tout mettre en œuvre pour con-damner l’attaque de l’Azerbaïdjan et de ses États auxiliaires et à œuvrer à une solution négociée – y compris sur la question du Haut-Karabagh. CSI demandait également qu’en s’appuyant sur sa bonne réputation et en tant que membre élu du Conseil de sécurité de l’ONU, la Suisse exige avec une initiative internationale que tout soutien militaire à l’Azerbaïdjan soit suspendu jusqu’à la fin du conflit et que selon les mêmes principes de droit international que lors de la reconnaissance du Kosovo, la Suisse envi-sage d’œuvrer à l’indépendance du Haut-Karabakh.
Parmi les autres communiqués, il convient de mentionner la « déclaration publique » de CRI Voix des victimes (association de soutien et orientation des victimes basée à Blonay, VD) du 10 octobre 2022. Le bureau de la CRI-Suisse a déploré « l’absence de réactions officielles des institutions suisses et des institutions religieuses » pour dénoncer « l’extermination généralisée du peuple arménien de la part de la dictature d’Azerbaïdjan » […] Il rappelle qu’il « n’y a pas de guerre entre les musulmans et les Arméniens, et que ces derniers sont bien accueillis dans les sociétés musulmanes en Syrie, au Liban et en Palestine. Les Arméniens ont occupé les plus hautes fonctions dans les sociétés musulmanes et ont participé à l’édification nationale et à la modernisation des sociétés arabes.[…]. » et pour conclure exhorte « les citoyens de confession musulmane à ne pas tomber dans la manipulation des paris politiciens au profit d’agendas étrangers inconnus et de veiller à la cohésion nationale de la Confédération suisse ».
Au niveau des médias, le 3 octobre 2022, la Tribune de Genève et le Tages Anzeiger ont publié un article intitulé « L’Arménie menacée de disparition – l’Azerbaïdjan et la Turquie visent l’anéantissement du premier État chrétien du monde« , signé par l’Association Suisse-Arménie.
En réponse à ces tribunes, le 6 octobre 2022, l’ambassade de l’Azerbaïdjan a diffusé un communiqué dans lequel elle « recommande aux médias suisses de ne pas faire appel uniquement aux émotions, qui ne sont pas approuvées par la loi« . En soulignant le fait que la sécurité énergétique de l’Europe « n’a jamais fait face à autant de défis« , la représentation azérie à Berne rappelle que la dépendance à l’égard du gaz naturel azerbaïdjanais « est particulièrement visible dans les relations avec la Suisse, où 70% des réservoirs de gaz naturel proviennent au départ de livraisons d’Azerbaïdjan« .
Dans un article intitulé « La clef du gaz, c’est nous, rappelle Bakou à la Suisse« , publié dans la Tribune de Genève du 7 octobre 2022, le journaliste Pierre-Alexandre Sallier fait remarquer que « cette dépendance n’est en rien corroborée pas les données des importateurs de gaz en Suisse. Du côté de la Suisse romande, tout le gaz est stocké en France – et constitué d’un cocktail qui n’est de loin pas dominé par le gaz de la Caspienne. […] Même constat pour les stocks destinés à la partie alémanique du pays, situés outre-Rhin. »
« POUR LA SURVIE DE L’ARMÉNIE »
RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LE GRAND CONSEIL DE GENÈVE
Le 12 octobre 2022, un projet de résolution « Pour la survie de l’Arménie » a été déposé au Grand Conseil de Genève. Cosigné par un groupe de députés* dont les chefs des groupes PDC, S, Ve et EAG, ce projet a été initié à la demande de plusieurs associations arméniennes de Suisse**.
Mise en discussion lors de la session du 14 octobre 2022, la Résolution a été adoptée par 58 voix contre 17 et 2 abstentions***.
Par la Résolution R1005 « Pour la survie de l’Arménie », le Grand Conseil genevois demande à l’Assemblée fédérale:
– de condamner l’Azerbaïdjan pour son agression contre la République d’Arménie ainsi que les actions cruelles dont se rendent responsables les troupes azerbaïdjanaises;
– de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que cette guerre soit financée par des recettes dérivant de la vente de matières premières azerbaïdjanaises en Suisse;
– de reconnaître le droit à l’autodétermination des Arméniens du Haut-Karabagh/Artsakh;
– de mettre tout en œuvre, notamment par les canaux que notre Confédération a avec le CICR et la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et d’autres organisations humanitaires internationales, pour que les prisonniers de guerre arméniens actuellement détenus par l’Azerbaïdjan puissent rentrer auprès de leurs familles.
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(*) Sébastien Desfayes (PDC), Caroline Marti (S), Marjorie de Chastonay (Ve), Jean Burgermeister (EAG), Claude Bocquet (PDC), Jacques Blondin (PDC), Jean-Marc Guinchard (PDC), Nicole Valiquer Grecuccio (S), Pierre Eckert (Ve), François Lefort (Ve), Corinne Müller Sontag (Ve), Christian Flury (MCG), Didier Bonny (Ve), Jean-Charles Lathion (PDC), Jean-Luc Forni (PDC), Anne Bonvin Bonfanti (Ve), Patricia Bidaux (PDC), Amanda Gavilanes (S), Olivier Cerutti (PDC), Glenna Baillon-Lopez (S), Léna Strasser (S), Françoise Sapin (MCG), Denis Chiaradonna (S), Daniel Sormanni (MCG), Grégoire Carasso (S), Marta Julia Macchiavelli (Ve), Sylvain Thévoz (S), Youniss Mussa (S), Patrick Saudan (HP), Souheil Sayegh (PDC), Bertrand Buchs (PDC), Adrienne Sordet (Ve)
(**) AGBU Young Professionals Geneva; Artzakank-Echo; Association Fragments; Avetis Association; Building an Alternative Future; Hyestart; Miassine; Union Arménienne de Suisse; Union Générale Arménienne de Bienfaisance – Suisse.
(***) Ont voté pour: 16 S, 12 Ve, 9 PDC, 9 MCG, 7 EAG, 2 UDC, 3 HP et contre: 15 PLR, 2 UDC, avec abstention: 2 UDC.