Au début du mois d’août 2014, le monde a découvert avec horreur la catastrophe qui s’est abattue sur les Yézidis de la région de Sindjar au nord-ouest de Mossoul suite à l’avancé fulgurante des djihadistes de l’Etat islamique (EI) en Irak. Les Arméniens ont été particulièrement choqués par les images des réfugiés yézidis dans les montagnes, confrontés à la famine et à la déshydratation, qui leur ont rappelé les souffrances des victimes du génocide perpétré contre leur peuple il y a 100 ans. C’est pour manifester leur solidarité avec cette minorité sérieusement menacée d’extermination par l’EI que l’Union arménienne de Suisse a appelé les membres de la communauté arménienne à participer à la manifestation du 15 août organisée à la Place des Nations à Genève par quelques associations kurdes et de défense des droits de l’homme.
Répondant aux appels lancés par des militants civiques arméniens, les médias et les dirigeants de la communauté yézidie en Arménie, dont le nombre est estimé à quelques 35’000 personnes, le gouvernement arménien a alloué une aide humanitaire de 100 000 $ aux Yézidis d’Irak. Cette aide sera distribuée par le HCR, l’agence des réfugiés des Nations-Unis. Le ministère des Affaires étrangères et les missions diplomatiques arméniennes à l’étranger ont été chargés par le président Serge Sargsyan de redoubler d’efforts pour évoquer les massacres et les déportations des Yézidis de manière adéquate sur la scène internationale. D’autre part, le porte-parole du président d’Artsakh Bako Sahakian a exprimé le 19 août la volonté d’accorder l’asile aux Yézidis forcés de fuir le nord de l’Irak.
En Arménie, les Yézidis, qui parlent le dialecte kourmandji de la langue kurde, vivent principalement dans les régions d’Armavir et d’Aragatsotn. Ils sont également présents à Etchmiadzine et à Ashtarak. Leurs aïeux, venant de l’Empire ottoman, se sont établis en Transcaucasie à partir du XVIIIe siècle, notamment pendant et après la guerre de Crimée (1853-1856) et la guerre russo-turque de 1877-1878. Cependant, la majorité des Yézidis modernes a traversé le fleuve Araxe au début du XXe siècle fuyant les massacres et les persécutions religieuses dans l’Empire ottoman.
En 1918, le héro et chef militaire yézidi Jahangir Agha a combattu avec ses hommes aux côtés du général Andranik lors de la bataille de Sardarapat et de Bash Aparan. Son nom est mentionné sur le mémorial commémorant la bataille dans la ville d’Aparan. En 2004, un monument a été érigé à la mémoire de Jahangir Agha au parc Nansen à Erevan et en 2013, un auditorium a été nommé en son honneur à l’Institut militaire V. Sargsyan. Par ailleurs, durant la guerre du Karabagh (1991-1994), de nombreux Yézidis ont combattu aux côtés des volontaires arméniens.
Une autre figure yézidie moins connue dans les milieux arméniens est le Cheikh Hammo Chero de Sindjar, qui a sauvé beaucoup d’Arméniens pendant le génocide de 1915. Dans son article « L’impossible sauvetage des Arméniens de Mardin » dans La Résistance aux génocides. De la pluralité des actes de sauvetage; dir. Jacques Sémelin, Claire Andrieu, Sarah Gensburger (Les presses de Sciences Po, 2008), Yves Thernon fait le récit des actes courageux de ce Juste du génocide de 1915:
« Cultivateurs et éleveurs, les yézidis du Sindjar sont organisés en une cinquantaine de tribus, toutes de langue kurde, réparties selon une hiérarchie précise; A leur tête, le cheikh Hammo Chero, le maître du Sindjar, est l’artisan du sauvetage de plusieurs milliers de chrétiens, en majorité des arméniens. Sans tenir compte des risques qu’il prend, il les installe et les nourrit. Dès août 1914, des déserteurs chrétiens se réfugient au Sindjar pour fuir la conscription […]. Le flot des réfugiés qui parviennent à gagner le Sindjar ne s’interrompt pas. Dès juillet 1915, les réseaux d’évasion vers le Sindjar s’organisent à partir de Nisibe et de Ras ul-Aïn. […]
Hammo Chero réserve à ces réfugiés des maisons et des tentes, il leur fournit du travail et les nourrit. Il leur donne un emplacement en face de son village où ils construisent des cabanes, puis des maisons de brique. Ils ont même un lieu de prières. Dès l’été, ils travaillent dans les vergers et les vignes. Certains envoient des lettres à Mardin pour que les chrétiens restés là leur fassent parvenir des aiguilles, du sucre et de l’argent qu’ils vont alors échanger d’un village à l’autre contre de l’orge et des lentilles. Lorsque, en octobre 1915, éclate une épidémie de typhus, plusieurs cheikhs, dont celui de Marussa, contraignent les réfugiés à quitter leurs maisons. Hammo Chero propose d’isoler une partie du village et d’y regrouper les malades jusqu’à ce qu’ils guérissent. […] En mars 1918, un corps d’armée ottomane tente de détruire ce réduit rebelle. Le commandant exige que Hammo Chero lui remette ses armes et les chrétiens qu’il protège. Celui-ci convoque les cheikhs de la montagne, leur transmet l’ordre du commandant et leur propose de refuser. L’assemblée est partagée. Hammo Chero exige une décision unanime. Les cheikhs se retirent pour délibérer. Chero n’attend pas et, avec un petit groupe d’hommes, massacre un groupe de soldats ottomans. L’armée envahit alors la montagne et, en dépit des embuscades tendues par les yézidis, les soldats ottomans parviennent au village de Chero qu’ils pillent et incendient. Les chrétiens sont déjà partis et se sont réfugiés dans les sommets de la montagne ou ont gagné le Sud. Dès que le gros de l’armée s’est retiré, les Yézidis harcèlent les soldats maintenus sur place et les désarment. Les turcs abandonnent alors le Sindjar. Les chrétiens regagnent les villages où ils demeurent jusqu’à la fin de la guerre. […] ».
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