ENTRETIEN AVEC MME HASMIK TOLMAJYAN, MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DE L’ARMÉNIE EN SUISSE

«Que nous soyons en Arménie ou dans la diaspora, nous partageons les mêmes rêves et les mêmes aspirations pour l’avenir de notre peuple et de notre pays.»

Mme Hasmik Tolmajyan, Envoyée spéciale et Ministre plénipotentiaire de la République d’Arménie en Suisse, est en fonction à Genève depuis le 22 août 2014. Les membres de notre communauté qui ont eu l’occasion de la rencontrer ont eu le plaisir de découvrir une personne communicative et ouverte, à l’écoute de ses interlocuteurs. Nous présentons à nos lecteurs l’interview que nous avons réalisée avec elle pendant la trêve estivale.

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Pourriez-vous présenter à nos lecteurs les services et les activités de l’ambassade et de la mission permanente d’Arménie auprès de l’ONU dans les grandes lignes?

La représentation diplomatique de l’Arménie à Genève assume deux missions diplomatiques à la fois – celle d’Ambassade auprès de la Confédération Suisse, chargée de tout le spectre des relations bilatérales entre l’Arménie et la Suisse – politique, économique, culturel, consulaire – et de Mission permanente auprès de l’Office des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève.

Comme vous le savez, Genève est l’un des centres les plus importants de la coopération multilatérale. C’est la ville qui accueille le plus grand nombre des rencontres diplomatiques internationales et aussi le plus grand nombre d’organisations internationales.

Le travail diplomatique est souvent comparé à un  iceberg, dont seulement la partie supérieure est visible. La Genève internationale, avec son très large spectre de coopération internationale n’en fait pas exception.

De manière générale, pensez-vous que l’Arménie arrive à se faire entendre au sein des organisations internationales à Genève?

L’Arménie, bien qu’avec une équipe de mission peu nombreuse, est perçue comme un partenaire actif et constructif dans la Genève internationale. Elle fait entendre sa voix aussi bien pour des questions qui la concernent directement, mais aussi lors des discussions plus larges relatives aux multiples questions de l’ordre du jour international. De plus, avec ses propres initiatives, l’Arménie participe à l’élaboration de cet ordre du jour.

Ainsi, l’Arménie est à l’avant-garde des efforts du Conseil des droits de l’homme pour la prévention du génocide. Sur son initiative, en mars 2015, à la veille du Centenaire du Génocide, le Conseil des droits de l’homme a adopté à l’unanimité une résolution sur la prévention du génocide. Cette résolution souligne l’importance de la lutte contre l’impunité, le déni et la justification du crime de génocide. Elle est le premier document international à affirmer que les tentatives de déni du génocide compromettent les efforts de prévention, ainsi que la réconciliation entre les peuples. Par cette résolution, le Conseil des droits de l’homme demandait aussi à l’Assemblée générale des Nations Unies de proclamer le 9 décembre – jour de l’adoption de la Convention internationale pour la prévention du génocide – Journée internationale pour la commé-moration de la mémoire et de la dignité des victimes du génocide. Ce que l’Assemblée générale a fait, par la force d’une résolution, présentée encore par l’Arménie.

Malgré son texte fort, ambitieux et les passions qu’il avait suscitées, nous avons réussi à former un consensus autour de la résolution et assurer son adoption à l’unanimité, ce qui renforce sa valeur et sa notoriété. Lors de son discours devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, le Président du Conseil des droits de l’homme l’avait présentée comme l’une des réussites notables de l’année.

Les questions relatives au conflit du Haut-Karabagh, au droit des peuples à l’autodétermination, à la situation des Arméniens de Syrie, à la destruction de notre patrimoine culturel et religieux, aux dangers liés à la discrimination, la xénophobie et le discours de haine sont soulevées de façon continue par l’Arménie au Conseil des droits de l’homme, auprès du Haut-Commissariat des refugiés et du bureau du Haut-Commissaire des droits de l’homme. 

Durant les mois précédents, l’offensive militaire de grande envergure déclenchée par l’Azerbaïdjan contre l’Artsakh, accompagnée de crimes atroces, ont été l’objet de dizaines de rencontres avec le Directeur Général de l’Office des Nations Unies à Genève, le Haut-Commissaire des droits de l’homme, le Directeur du bureau européen du Haut-Commissariat des refugiés, le Président du Comité International de la Croix Rouge, ainsi que des rapporteurs spéciaux des Nations Unies. Cette question a été soulevée à plusieurs reprises lors de la session plénière du Conseil des droits de l’homme tenue en juin dernier.

Comment qualifieriez-vous les relations bilatérales entre la Suisse et l’Arménie? Quels sont selon vous les domaines dans lesquels celles-ci pourraient être renforcées?

L’Arménie et la Suisse entretiennent d’excellentes relations, basées sur l’amitié séculaire qui lie nos peuples, renforcée par la solidarité extraordinaire que le peuple suisse a témoignée à l’égard de notre peuple durant les épreuves les plus difficiles de son histoire. On ne parlera jamais assez de la fameuse pétition de 1897 avec un nombre de signataires record inégalé dans l’histoire suisse. La reconnaissance du génocide arménien par le Conseil National Suisse en 2002 s’inscrivant dans cette tradition humaniste du peuple Suisse, est aussi une importante contribution aux efforts internationaux pour la prévention des crimes contre l’humanité.

Le ministre arménien des affaires étrangères Edouard Nalbandyan et le chef du Département fédéral des affaires étrangères Didier Burckhalter

Le dialogue politique intense renforcé par l’échange de multiples visites et rencontres des plus hauts responsables de nos deux pays, la mise en place des représentations diplomatiques réciproques à part entière, l’étroite coopération dans tous les domaines aussi bien sur le plan bilatéral que multilatéral, une coopération interparlementaire fructueuse pilotée par les groupes d’amitié parlementaires, un cadre juridique solide ont renforcé les relations diplomatiques entre nos deux pays dont le 25ième anniversaire sera célébré en début de l’année prochaine.

Nous aurions souhaité que la coopération économique entre nos deux pays soit renforcée. Hormis les domaines de l’horlogerie, l’industrie pharmaceutique, la construction, le partenariat économique pourrait être élargi dans les domaines de  l’agroalimentaire, des énergies renouvelables, des nouvelles technologies, du tourisme.

Dans quelle mesure pensez-vous que notre commu-nauté pourrait apporter son soutien à vos activités?

La communauté arménienne, avec son intégration exemplaire, sa loyauté et sa contribution effective au développement de la Suisse, a créé un capital de sympathie à l’égard du peuple arménien et de l’Arménie. C’est un capital précieux.

Nous sommes fiers d’avoir à nos côtés des amis qui, selon la formule de notre cher Ambassadeur Charles Aznavour, même si elle défie toute logique mathématique, sont à la fois 100% arméniens et 100% suisses.

L’ambassadeur Charles Aznavour et Mme Hasmik Tolmajyan avec M. Joachim Rücker, président du Conseil des droits de l’homme

La communauté arménienne, avec son Eglise, ses associations, ses fondations, ses personnalités émi-nentes, est un véritable acteur de l’amitié arméno-suisse. A travers de multiples actions et événements, elle favorise une meilleure connaissance de notre pays, de son histoire, de ses riches traditions culturelles et artistiques. Il est hautement symbolique, que grâce à la Fondation Topalian et à une équipe de volontaires dé-voués, l’Arménie a toute sa place au prestigieux Salon du Livre de Genève depuis de nombreuses années.

Je voudrais souligner le travail remarquable du Comité suisse de commémoration du Centenaire du Génocide pour l’organisation de plusieurs dizaines d’événements de qualité, qui ont sensibilisé le public et la presse suisses à cette page sombre de l’humanité.

Enfin, je voudrais aussi rappeler, que c’est au Centre arménien de Genève que la représentation diplomatique de l’Arménie a commencé ses premières activités, avant qu’un bureau soit mis généreusement à la disposition de l’Ambassade par la famille Gabrielian, à qui je voudrais exprimer notre chaleureuse gratitude.

Je voudrais saisir cette occasion pour exprimer ma gratitude à tous ceux qui apportent leur contribution précieuse au développement de l’Arménie, par des investissements dans les différents secteurs de son économie, divers projets de coopération, actions culturelles, projets innovateurs, à tous ceux qui transmettent aux jeunes générations leur attachement à notre pays, dont témoigne le nombre croissant de demandes de citoyenneté arménienne. Je voudrais remercier aussi tous ceux qui ont une présence quotidienne aux côtés de l’Ambassade d’Arménie.

Cette année l’Arménie fête le 25ième   anniversaire de son indépendance. Quel regard portez-vous sur tout ce que l’Arménie a pu réaliser durant cette période et quels sont les défis qui l’attendent?

La restauration de l’Etat indépendant arménien en 1991 a été la réalisation du rêve de plusieurs générations en Arménie comme dans la diaspora.

Notre Etat a dû faire ses premiers pas dans un contexte particulièrement difficile: des frontières fermées avec deux de ses quatre voisins, dont l’un a imposé un conflit sanglant et l’autre, 75 ans après le génocide, qu’il continue à nier, impose un blocus et pèse comme une menace sécuritaire; le dysfonctionnement quasi-total de l’économie dû à l’effondrement du système économique soviétique et à la transition de l’économie soviétique planifiée à l’économie de marché, les conséquences pesantes du séisme de 1988, toute une génération fragilisée dans le nouveau marché de travail et en quête de repères… Tout cela ne pouvait pas rester sans conséquences sur le processus de construction de « l’Etat souverain, démocratique, social et de droit » que notre peuple faisait de ses vœux en le proclamant dans l’Article 1er de sa Constitution.

Des efforts considérables ont été entrepris et beaucoup a été fait, mais nous sommes parfaitement conscients qu’il nous reste encore du chemin à parcourir. Est-ce qu’on pourrait ou on peut le traverser plus vite, sans faute, ni revers? La réponse dépend des efforts de chacun de nous.

A votre avis, les relations entre l’Arménie et la diaspora ont-elles atteint un niveau satisfaisant après 25 ans d’indépendance?

La diaspora, regroupant deux tiers de notre peuple, joue un rôle majeur dans le monde arménien, aux côtés de la République d’Arménie et d’Artsakh. C’est de cette unité que notre peuple, qu’il soit en Arménie, à Artsakh ou dans la Diaspora, tire toute sa force et sa conviction pour l’avenir.

Le soutien de la Diaspora, son savoir-faire ont été inestimables pour la jeune République d’Arménie dès le premier jour de son indépendance et durant toutes ces 25 années.

L’Arménie est la Patrie de tous les Arméniens. Que nous soyons en Arménie ou dans la diaspora, nous partageons les mêmes rêves et les mêmes aspirations pour l’avenir de notre peuple et de notre pays. Pourrons-nous y parvenir?

Moi, j’y crois.

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Hasmik TOLMAJYAN

Ministre plénipotentiaire, Représentant permanent adjoint de la République d’Arménie auprès de l’Of-fice des Nations Unies et des organisations interna-tionales à Genève et, Ministre plénipotentiaire auprès de l’Ambassade de la République d’Arménie auprès de la Confédération Suisse (postes qu’elle occupe depuis le 23 août 2014)

Née le 10 mars 1974

– Diplôme des Etudes approfondies de l’Institut d’Etudes politiques de Paris (1999)
– Diplôme Supérieur de l’Université Panthéon-Assas Paris II (1997)
– Maîtrise des Relations Internationales de l’Université d’Etat d’Erevan (1996)

Postes occupés dans le passé:

– 2008 – août 2014 : Conseillère du Ministre des Affaires étrangères de la République d’Arménie; Erevan.

– 2006 – 2008 : Ministère des Affaires étrangères, Département de l’Europe, Premier secrétaire; Erevan.
– 2004-2006 : Ministère des Affaires étrangères, Département de l’Europe, Deuxième Secrétaire; Erevan.
– 1999 -2003 : Ambassade de la République d’Arménie en France, Troisième secrétaire, Paris.
– 1995 – 1996 : Ministère des Affaires étrangères, Département des Pays de la CEI, Attaché, Erevan.

2021-01-15T18:36:10+01:00 15.09.16|INTERVIEWS, SUISSE-ARMÉNIE|

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