VERS L’ARMÉNIE DE NOS RÊVES …

Le 8 mai fut un jour historique pour le peuple d’Arménie et un grand nombre d’Arméniens de la diaspora, qui ont fêté dans la liesse l’élection du « candidat du peuple » Nikol Pashinyan au poste de Premier ministre. Avec cette élection, la « révolution de velours » a marqué sa deuxième victoire après celle de la démission forcée de Serge Sargsyan le 23 avril dernier sous la pression de la rue. Cette transition de pouvoir sans effusion de sang ouvre une nouvelle ère pleine d’espoir dans l’histoire de la République.

Pourtant, fin mars, au moment où Nikol Pashinyan lançait l’initiative « Mon pas » en entamant une marche politique au départ de Gyumri avec une poignée de supporters, peu de gens croyaient à la réussite de son action. Arrivé à Erevan, il a proclamé le début « d’une révolution populaire non violente » sous le slogan « Fais un pas, rejette Serge » visant à empêcher Serge Sargsyan de devenir Premier ministre. Il a appelé les Arméniens à livrer un combat pacifique dans les rues de leurs villes, parlant sans cesse d’amour et de respect, appelant à la désobéissance civile et très structurée. Après avoir tenu la rue pendant dix jours, les manifestants ont obtenu la démission de Serge Sargsyan, devenu entretemps Premier ministre après 10 ans à la tête de l’État en tant que président.

M. Pashinyan avec quelques membres de son équipe, Ararat Mirzoyan, Arayik Harutiunyan, Tigran Avinyan, Mkhitar Hayrapetyan et Lena Nazaryan (© armtimes.com)

Orateur hors pair, Pashinyan a réussi à rassembler le peuple autour de lui et ses compagnons, et de devenir, en moins d’un mois, le leader de la contestation et l’élu du peuple pour diriger le pays. Grâce à sa ténacité, son ingéniosité et ses talents organisationnels, il a réussi à maintenir la mobilisation populaire suffisamment longtemps pour faire plier la majorité parlementaire. Fort de l’expérience des mouvements de protestation non-aboutis de ces dix dernières années, il a pu surmonter les premiers obstacles et s’imposer comme chef d’État.

Mais c’est surtout le choix des mots d’ordre et des messages, conjugué avec une stratégie de communication bien orchestrée qui a joué un rôle clé dans la réussite de ce mouvement. En effet, Pashinyan s’est adressé « aux citoyens libres, fiers et dignes de la République d’Arménie » et ses appels ont retenti dans toutes les villes et tous les villages du pays, jusqu’au fond des cœurs, mobilisant en premier lieu les étudiants, puis toute la population, dont le comportement exemplaire fut la pierre angulaire de cette révolution de valeurs. Il a ainsi rendu la dignité à un grand nombre de personnes maintenues longtemps dans un état d’asservissement et de misère par une poignée de dirigeants corrompus et oppresseurs prêts à tout pour garder le pouvoir. C’est pourquoi, la « révolution d’amour et de bonne entente » a fini par imposer le changement avec sourire, joie et danses contrairement aux autres révolutions que le monde a connues ces dernières années.

(©news.am)

Dans la diaspora, un grand nombre de personnes ont  pu vivre en direct les étapes successives de la révolution et partager ces moments historiques d’énorme joie qui a envahi les rues d’Erevan. Cela a été possible grâce à l’utilisation efficace des réseaux sociaux et des vidéos en direct par Pashinyan et les membres de son équipe ainsi qu’au travail remarquable des journalistes et des professionnels de l’audiovisuel.

En Suisse, notre petite communauté n’est pas restée indifférente notamment face aux évènements qui ont précédé l’élection de M. Pashinyan.

Le 21 avril, l’Union Arménienne de Suisse (UAS) et Artzakank ont publié un communiqué dans lequel ils faisaient remarquer que « les espoirs de changement et de libéralisation de l’opinion publique déçus mènent à une révolte de la part de ceux qui revendiquent une société juste, équitable et respectueuse de l’environnement » et exprimaient leur soutien sans réserve à cette contestation légitime. Ils appelaient les autorités arméniennes « à libérer les manifestants arrêtés de manière arbitraire, à mettre fin aux violences policières (par des agents en civil ou en uniforme) et à procéder aux changements de gouvernance en respectant les procédures démocratiques afin d’abolir le système oligarchique qui gangrène le pays depuis trop longtemps ».

Le lendemain, un groupe de jeunes arméniens venus de différentes villes suisses ont manifesté devant L’Église arménienne de Troinex en solidarité avec la révolution.

Le 29 avril, l’UAS et Artzakank ont diffusé un deuxième communiqué, envoyé le même jour par voie électronique à tous les députés du Parlement arménien. Saluant Nikol Pashinyan et les autres initiateurs ainsi que les milliers de participants au mouvement de désobéissance civile non-violente et à mains nues, les deux organisations ont réitéré leur soutien sans réserve aux revendications justifiées du mouvement populaire en ajoutant que « l’élection d’un nouveau Premier ministre n’ayant aucun lien avec l’ancien régime permettra de mettre fin une fois pour toutes au système oligarchique (…) et de lancer le processus de l’édification de l’Etat ». Elles ont enfin fait appel aux députés du Conseil national « pour qu’ils respectent la volonté des citoyens arméniens et votent en faveur du candidat du peuple lors de l’élection du 1er mai ».

Enfin, le 10 mai une lettre de félicitations a été envoyée par l’UAS et Artzakank à M. Pashinyan à l’occasion de son élection au poste de Premier ministre. Le même jour, une fête spontanée a été organisée au Centre arménien de Genève par un groupe de jeunes de la communauté.

Des manifestations semblables et d’autres actions de soutien ont eu lieu un peu partout dans la diaspora et  la révolution lancée par Pashinyan a suscité beaucoup d’enthousiasme notamment parmi les jeunes. Malheureusement, aux moments critiques, les structures traditionnelles de la diaspora à savoir, les deux catholicossats, les partis politiques et les grandes organisations panarméniennes, n’ont pas fait preuve d’une réaction appropriée. En parfait décalage avec la réalité sur le terrain, certains dirigeants se sont précipités pour féliciter Serge Sargsyan à l’occasion de son élection au poste de Premier ministre, alors que d’autres se sont contentés d’exprimer leur inquiétude et de lancer des appels au dialogue. A cet effet, le Catholicos Aram II a fait l’objet de critiques pour avoir omis de rencontrer les représentants de l’opposition ou des milliers de manifestants qui défilaient dans les rues de la capitale et d’autres villes lors de sa visite éclair à Erevan le 20 avril 2018.

Dans les jours qui ont suivi son élection, le Premier ministre fraîchement élu a formé son gouvernement qui comprend des technocrates, quelques-uns de ses jeunes collaborateurs et des représentants des partis minoritaires au Parlement. Le plus jeune est le ministre de la Diaspora Mkhitar Hayrapetyan (28 ans), alors que le plus âgé est le ministre des Affaires étrangères Zohrab Mnatsakanyan (52 ans) que les lecteurs d’Artzakank connaissent bien. En effet, M. Mnatsakanyan fut l’ambassadeur d’Arménie en Suisse et représentant permanent auprès de l’Office des Nations Unies et des organisations internationales de 2002 à 2008 en poste à Genève.

Il appartient maintenant au nouveau gouvernement de préparer des élections législatives anticipées et de mettre en œuvre les réformes fondamentales qui démocratiseront le pays, renforceront l’État de droit et amélioreront le climat des affaires.

Dans le prolongement des messages d’amour et de tolérance de la révolution et afin de mettre fin à la culture de haine politique et d’ouvrir la voie à la réconciliation, Pashinyan a promis qu’il n’y aura pas de « vendetta » contre les membres du parti républicain et des gouvernements précédents et qu’il empêchera toute « redistribution » de biens et propriétés.

Cette révolution a non seulement cassé tous les préjugés sur la désunion et l’individualisme des Arméniens mais a également fait sortir la population d’Arménie de sa peur et de son apathie, déterminée à prendre son destin en main. Il s’agit d’un premier pas vers une « Arménie libre, juste et heureuse » promise par Pashinyan et qui a toutes les chances de devenir réalité. Le chemin est certes long et semé d’embûches mais la jeunesse d’Arménie a prouvé qu’elle était capable de déplacer des montagnes.

S’agissant de la diaspora, Pashinyan a déclaré qu’elle ne sera plus considérée seulement comme une source de financement; l’Arménie fera appel aux experts et professionnels de la diaspora afin qu’ils contribuent par leurs connaissances et savoir-faire à l’édification d’un nouveau pays. De surcroît, le nouveau gouvernement œuvrera pour un rapatriement  massif.

En ces jours de célébrations du centenaire de la première République d’Arménie et des victoires de Sardarapat et de Bash Aparan, nous ne pouvions imaginer un plus beau cadeau. L’Arménie de nos rêves n’est  peut-être plus une chimère …

Maral Simsar

 

 

2018-06-07T16:59:07+02:00 07.06.18|ARMÉNIE & ARTSAKH, ÉDITORIAL|

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