LA PROBLÉMATIQUE DU PROJET DE L’EXPLOITATION MINIÈRE D’AMULSAR EXPOSÉE À GENÈVE

Anna Shahnazaryan (à gauche) à Genève (Photo crédit: globaljustice.org)

La 5e session des négociations du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée (OEIGWG pour Open-Ended Intergovernmental Working Group) sur le Traité des Nations Unies relatif aux sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme s’est tenue à Genève du 14 au 18 octobre 2019. Le mandat de l’OEIGWG d’élaborer un instrument juridiquement contraignant pour régir les obligations des entreprises dans le domaine découle de la résolution 26/9 adoptée par le Conseil des droits de l’homme en 2014. Pendant cette session, les États membres de l’ONU ont travaillé sur le deuxième projet de texte dont l’objectif est d’amener les États à inscrire dans leur système juridique un devoir de diligence pour les entreprises en matière de droits humains et un régime de responsabilité pour les atteintes que celles-ci commettent.

L’intérêt suscité par ces négociations continue de croître comme en témoigne la présence des délégués de plus de 40 pays représentant tant des communautés affectées par les violations des droits humains perpétrées par des sociétés transnationales que des mouvements sociaux, des syndicats et d’autres organisations de la société civile. Parmi ces derniers, la Campagne mondiale pour la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des sociétés transnationales et mettre fin à l’impunité (Global campaign), un réseau de plus de 250 groupements et communautés affectées par les activités desdites sociétés. Ces groupes s’opposent aux accaparements de terres, aux activités d’ex-traction minière, aux salaires de misère et aux destructions environnementales imputables à des sociétés transnationales partout dans le monde.

Notons que la signature de nouveaux traités internationaux en matière de commerce et d’investissement confère plus de droits aux « investisseurs » qu’aux personnes et aux communautés touchées. Pire encore, grâce à des tribunaux d’arbitrage (ISDS), les intérêts des entreprises sont protégés au détriment de l’intérêt public. L’ISDS fonctionne en dehors des systèmes juridiques nationaux, offrant une panoplie de privilèges juridiques sur mesure, accessibles uniquement aux investisseurs étrangers. En cas de conflit, les sociétés transnationales utilisent l’ISDS pour exiger ce qu’elles estiment une « compensation » financière – pas uniquement sur l’argent déjà investi, mais également sur les futurs profits estimés. Dans la plupart des cas, les arbitres de ces tribunaux privés ad hoc se prononcent en faveur des investisseurs car ils n’ont aucune obligation de considérer les facteurs externes au droit du commerce international et des investissements étrangers, comme les violations des droits de l’Homme ou la protection de l’environnement. Il n’y a pas de mécanisme pour représenter l’intérêt des communautés affectées par les investisseurs et les lois en question. Et les gouvernements n’ont pas le droit de faire appel aux verdicts.

Invitée par l’association CETIM Catalunya, Anna Shahnazaryan, représentante de Armenian Environmental Front*, a participé aux négociations de l’OEIGWG et aux différentes manifestations organisées en marge de la session. Elle a également présenté le projet controversé de la mine d’or d’Amulsar qui oppose les communautés environnantes à la société minière Lydian International.

« L’affaire d’Amulsar a pris une dimension internationale lorsque Lydian a commencé à se référer aux instruments internationaux tels que les traités bilatéraux en matière de commerce et d’investissement suite au blocage par les habitants de Jermuk et des villages avoisinants des routes menant à la mine. Selon les déclarations de quelques hauts-fonctionnaires arméniens en faveur de l’exploitation de la mine, le gouvernement se trouve maintenant face à une potentielle menace de 2 milliards de dollars liée à l’ISDS, soit l’équivalent du budget annuel de l’Arménie ou de 25% de sa dette extérieure! » Cette menace a poussé les membres de Armenian Environmental Front à faire des recherches sur les mécanismes en vigueur pour comprendre la situation. « C’est ainsi que nous avons été contactés par des organisations de différents pays qui militent contre les sociétés transnationales et l’ISDS dont Justice Now et War on Want. Certaines se sont rendues en Arménie pour constater la situation à Amulsar et se sont portées solidaires des défenseurs d’Armulsar en lançant des pétitions ou par d’autres actions. C’est grâce à leur soutien que nous avons été intégrés aux processus internationaux. Actuel-lement notre combat n’est pas seulement pour interdire l’exploitation de la mine mais aussi pour essayer d’empêcher la société Lydian de recourir à l’ISDS contre le gouvernement arménien et ainsi porter un coup fatal à l’économie du pays. »

Avec l’aide des organisations susmentionnées, Anna Shahnazaryan et d’autres représentants de Armenian Environmental Front participent à des forums européens pour exposer les problèmes liés à la mine d’Amulsar. Au début du mois d’octobre, Anna a voyagé à Bruxelles où elle a rencontré des députés du Parlement européen. « Je leur ai décrit ces problèmes et j’ai évoqué le fait que la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement), un des investisseurs dans ce projet, continue de soutenir Lydian malgré les irrégularités dans son rapport d’estimation de l’impact de la mine sur les ressources en eau de la région. Par ailleurs, Lydian menace notre démocratie. En effet, la majorité des habitants de la région est contre l’exploitation de la mine et  le Premier-ministre Nikol Pashinyan se trouve devant un dilemme. S’il cède au chantage de Lydian et va à l’encontre de la volonté populaire, ce sera une défaite pour la démocratie arménienne. Ce sont des questions globales et il est important de présenter le problème dans un contexte international en soulignant le fait que les sociétés transnationales portent atteinte aux démocraties. »

Anna Shahnazaryan estime que les mouvements sociaux devraient déployer leurs efforts pour pousser les gouvernements à prendre des mesures en vue de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les sociétés transnationales et à les obliger à rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains qu’elles commettent.

M.S.


(*) Un mouvement social pour la protection de l’environnement et la justice sociale à travers un développement en harmonie avec la nature (http://www.armecofront.net/).

2019-11-24T00:30:47+01:00 24.11.19|ARMÉNIE & ARTSAKH, ARTICLES, GÉNÉRAL, SUISSE-ARMÉNIE|

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