NARINÉE POLADIAN – PORTRAIT

Narinée dans son atelier (photo officielle)

RENCONTRE

par Lerna BAGDJIAN

“Il n’y a pas de travail pour fille ou pour garçon. Faites simplement ce que votre cœur vous dit de faire. Préservez et diffusez la culture.”

Arménienne originaire du Liban, voilà maintenant deux ans que Narinée Poladian s’est installée en Arménie et se consacre pleinement à la taille de pierre ainsi qu’à la transmission de cet art ancestral. Un parcours atypique faisant d’elle la première tailleuse de pierre en Arménie.

À quelques rues de la place principale de Gyumri, au sein d’une petite structure datant de l’ère soviétique ne payant pas de mine, se cache l’atelier de Narinée.

Ayant grandi à Beyrouth et architecte de formation, Narinée se rend en janvier 2018 en Arménie pour un séjour sans durée fixe avec le programme de bénévolat “Birthright Armenia”. En explorant Erevan, elle se laisse séduire par les tailleurs de pierre situés à l’angle des rues Arami et Khoghbatsi. Ce petit atelier dont les poussières de tuf colorent la route est connu de tous et participe au charme du centre-ville.

“Je n’avais jamais eu d’intérêt particulier pour les khachkar avant de tomber sur cet atelier, c’est peut-être le charme de la simplicité du local, ou le fait qu’il n’y ait pas de femme parmi les tailleurs qui m’a intriguée”. Narinée leur demande alors si elle peut se joindre à eux pour pratiquer. Elle est accueillie à bras ouverts, et c’est ainsi qu’elle se formera pendant un an et demi à “l’art du khachkar”. Elle s’y rend pendant son temps libre et les weekend, puis devient salariée au bout de huit mois.

Déchiffrage de significations, cimetière de Noradouz

Que ce soit au seuil d’une église, dans un lieu commémoratif, ou en version miniature dans une boutique de souvenir, celui qui aura mis les pieds en Arménie les aura forcément rencontrées, ces fameuses pierre taillées alliant massiveté et légèreté, que l’on appelle “Khachkar”. “Khach” signifie “croix” et “kar” “pierre”, littéralement “croix sur pierre”. L’art de tailler la pierre fait partie intégrante de la culture chrétienne arménienne.

Khatchkar, cimetière de Noradouz

Narinée raconte qu’un khachkar est structuré en trois parties: la croix occupe le centre de la composition, elle lie le bas, dont les motifs symbolisent la terre, la vie humaine, le passé; et le haut, dont les ornements représentent le ciel, le futur.

Le tailleur doit s’armer de patience et de précision pour exprimer des détails ornementaux semblables à de la dentelle, trouvant en général leur origine dans la croyance païenne. Des blocs de pierre deviennent ainsi, avec le temps, chargés de signification.

Narinée taillant le symbole de l’éternité

Autour du poêle qui réchauffe la pièce, le fiancé de Narinée, Jora, raconte la signification du symbole de l’éternité selon une théorie peu connue. Ce symbole est composé de courbes s’orientant dans un sens ou l’autre et partant d’un point. “Si le symbole insinue un mouvement vers la droite, le vent descendrait du haut vers le bas, symbolisant que l’énergie proviendrait de l’univers en direction de la terre. S’il tourne vers la gauche, le processus inverse s’effectue. L’explication de Narinée se réfère aux croyances païennes arméniennes. Ce symbole d’identité nationale est aussi appelé “arevakhach”, littéralement “croix-soleil”. Il symbolise la vie éternelle. Son dessin insinue un mouvement continu, faisant écho au mouvement du soleil. Il se compose principalement de huit courbes, qui représentaient les huit dieux du système divin arménien : Aramazd, Anahit, Astghik, Vahagn, Mihr, Nané, Tir, Vanadour.

Tantôt ocre, rose ou rouge vif, la pierre locale employée est le fameux “tuf”. Sa couleur varie selon sa provenance. Le tuf noir d’Arménie se trouve dans la région du Shirak, et a su donner aux maisons du 19ème siècle de la ville de Gyumri leur identité. Le tuf d’Artik est à l’origine du surnom de Erevan, “la ville rose”. Cette pierre volcanique est celle que l’on retrouve sur les bâtiments monumentaux qui forment la place de la République dans la capitale. La légende dit que les pierres de tuf des quatre bâtiments disposés radialement avaient été choisies avec soin par l’architecte Tamanyan de manière à s’assombrir graduellement, pour symboliser la course du soleil. Réminiscences d’un peuple païen.

3. Coeur du célèbre khachkar de l’église de Goshavank, connu sous le nom de “Aseghnakordz”, 13ème siècle

À 16h, la lumière qui balaye l’atelier de Narinée fait ressortir les clairs-obscurs de ses créations. “Chaque variété de tuf possède ses propres propriétés. Il existe plus de quarante couleurs de cette pierre répertoriées en Arménie. En général, c’est la couleur rouge que l’on emploie afin que les motifs ressortent au mieux”, précise Narinée.

Désormais, à l’âge de vingt-six ans, Narinée poursuit sa formation tout en transmettant son savoir-faire au sein de son propre atelier. Elle suit un master en sculpture à l’université de Gyumri, développe ses créations personnelles, et enseigne à ses élèves -toujours plus nombreux- les technique du métier ainsi que les significations des ornements.

Les mains d’or de Narinée font d’elle une gardienne de la culture. Si vous êtes de passage à Gyumri, n’oubliez pas de lui rendre visite !

(Crédit photos, à l’exception de la première: Lerna Bagdjian)

Liens :

https://www.youtube.com/watch?v=y8y9KJv2uw4&t=49s

https://www.youtube.com/watch?v=uB-1WzjILZ8

https://www.facebook.com/narine.poladian

https://www.instagram.com/narineepoladian/

2021-05-06T23:49:18+02:00 06.05.21|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL|