30 ANS DE RELATIONS DIPLOMATIQUES ENTRE LA SUISSE ET L’ARMÉNIE
La Suisse a reconnu l’indépendance de l’Arménie le 23 décembre 1991. Les deux pays entretiennent des relations diplomatiques depuis le 30 avril 1992 et le premier ambassadeur d’Arménie, M. Zohrab Mnatsakanyan, a été accrédité en Suisse en 2002*. Quant à la Suisse, pendant longtemps, son ambassadeur à Tbilissi était co-accrédité en Arménie et c’est seulement en 2011 qu’elle a ouvert son ambassade à Erevan.
Au cours de ces trois décennies, l’Arménie et la Suisse ont conclu des accords bilatéraux dans plusieurs domaines et ont développé leur coopération économique et culturelle ainsi qu’en matière de recherche, d’éducation, d’environnement et de développement**.
En juin 2004, la création du Groupe parlementaire d’amitié Suisse-Arménie (PGArm) à l’Assemblée fédérale a ouvert une nouvelle page dans les relations arméno-suisses. Les premiers co-présidents de ce groupe Dominique de Buman et Ueli Leuenberger ont joué un rôle clé dans la promotion des relations bilatérales entre les deux États et les deux Parlements ainsi que dans la lutte contre le négationnisme. Actuellement, le groupe compte 26 membres et est co-présidé par les Conseillers aux États Lisa Mazzone (Les Verts/GE), Carlo Sommaruga (PS/GE) et la Conseillère nationale Marianne Streiff-Feller (PEV/BE). La Conseillère nationale Isabelle Moret est démissionnaire de la co-présidence en vue de sa très probable élection au Conseil d’État vaudois.
A l’occasion du 30ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Suisse et l’Arménie, l’Arménie, Artzakank a rencontré Sarkis Shahinian, secrétaire général du Groupe parlementaire d’amitié Suisse-Arménie.
Artzakank: Comment les 30 ans des relations diplomatiques entre la Suisse et l’Arménie seront-elles marqués en Suisse?
Sarkis Shahinian: Les préparatifs sont en cours en collaboration avec M. Andranik Hovhannisyan, l’ambassadeur d’Arménie en Suisse, pour organiser en juin prochain la visite officielle en Suisse d’une délégation parlementaire arménienne. En marge de cette visite, un grand évènement politique et culturel aura lieu avec la participation du monde politique et culturel suisse sensible aux questions qui préoccupent les Arméniens. Cet évènement visera à renforcer les relations parlementaires et culturelles entre les deux pays et à créer un terrain favorable à un engagement plus actif de la Suisse dans la résolution des problèmes auxquels est confrontée l’Arménie. Il y aura également d’autres évènements solennels.
A. Vous avez récemment fait un voyage en Arménie où vous avez rencontré, entre autres, des membres du nouveau Groupe parlementaire d’amitié Arménie-Suisse après les élections législatives anticipées de juin 2021. Pouvez-vous nous en dire plus?
S.Sh. Il est intéressant de constater que le nouveau groupe comprend les présidents de cinq com-missions parlementaires permanentes de l’Assemblée nationale d’Arménie à savoir, des affaires étrangères, de le défense et de la sécurité nationale, des affaires étatiques et légales, de l’intégration européenne et du travail et des affaires sociales, et le vice-président de la commission des affaires économiques. Le groupe est présidé par Eduard Aghajanyan (président de la commission des affaires étrangères) et comprend 20 députés dont 13 du parti Contrat civil au pouvoir, 5 du bloc Arménie et 2 du bloc « J’ai l’honneur » de l’opposition. Nous travaillons actuellement sur l’agenda de cette visite officielle. En effet, il est important que les présidents des commissions parlementaires, membres du groupe d’amitié, puissent rencontrer leurs homologues de l’Assemblée fédérale suisse. Nous souhaitons aussi que des députés de l’opposition fassent partie de la délégation.
Lors de mes rencontres avec M. Aghajanyan et d’autres membres du groupe parlementaire d’amitié Arménie-Suisse, j’ai remarqué que les députés arméniens sont très intéressés par le processus décisionnel public en Suisse et le mécanisme par lequel le pouvoir législatif exerce la haute surveillance sur le pouvoir exécutif. Par la suite, les principes et notions qui seraient jugés applicables au système étatique de la République d’Arménie pourraient faire l’objet d’éventuels amendements constitutionnels.
A. Quel bilan tirez-vous des travaux du Groupe parlementaire d’amitié Suisse-Arménie pendant les 18 ans de son existence?
S.Sh. Le PGArm a été très actif dès le début. Rappelons que cinq visites de délégations parlementaires ont été organisées en Arménie (en 2008, 2012, 2015, 2016 et 2018) dont la dernière au plus haut niveau, sous l’égide du président du Conseil national Dominique de Buman. Je tiens à souligner le rôle de M. Ara Babloyan, chef du Groupe parlementaire arménien d’amitié avec la Suisse, qui était également le président du Parlement d’Arménie, dans l’accueil et la réussite de cette visite. Mais la visite la plus importante a été celle de 2012 lorsque nous avons visité l’Artsakh avec sept députés suisses. A cette occasion, nous étions accompagnés du journaliste de la TSR Olivier Koller. Ces visites ont contribué à rapprocher l’Arménie à la Suisse. D’autre part, la position de la Suisse s’est renforcée en Arménie notamment durant le mandat de l’ambassadeur Lukas Gasser (2013-2018). C’est avec lui que notre délégation a rendu visite le 18 mai 2018 à Nikol Pashinyan, nouvellement élu Premier ministre, et la Suisse fut ainsi le premier pays à le féliciter.
D’autre part, il y a eu plusieurs visites de délégations arméniennes en Suisse mais malheureusement, la partie arménienne n’a pas pu tirer pleinement profit des opportunités qui se sont présentées pour renforcer ses liens avec la partie suisse. Le Groupe d’amitié parlementaire suisse a apporté son soutien à la République d’Arménie notamment en lui ouvrant constamment des portes dans le domaine des relations économiques. N’oublions pas la contribution de Dominique de Buman à la création de la Chambre de Commerce Suisse-Arménie qui a organisé plusieurs évènements importants avec la participation des milieux économiques suisses et arméniens. Je rap-pelle également l’engagement de Ueli Leuenberger, qui s’est tant dédié à mobiliser les forces politiques genevoises et suisses en faveur du peuple arménien dans ses moments les plus sombres. Je regrette que la partie arménienne n’a pas été prête à saisir ces opportunités d’une manière suffisante et souhaitable. J’ai été témoin de cette triste réalité en 2014 lors de la visite en Arménie d’une délégation du SECO dont je faisais partie et qui était dirigée par Mme Livia Leu (actuellement Secrétaire d’État du DFAE). Nos interlocuteurs arméniens n’ont proposé aucun projet! Le manque ou l’incapacité de planification a été la plus grande lacune de la diplomatie arménienne, ce qui relève de la faiblesse de la doctrine d’État et est, partant, très regrettable.
A. Qu’en est-il des travaux du Groupe parlementaire à l’Assemblée fédérale pendant et après la guerre de 44 jours?
S.Sh. Le PGArm a été très actif pendant la période en question. Entre le 30 octobre et le 17 décembre 2020 dix interventions parlementaires (5 interpellations, 4 questions à l’heure des questions et 1 postulat) ont été déposées par les membres du Groupe et par d’autres parlementaires, du jamais vu dans l’histoire de l’Assemblée fédérale. Elles portaient entre autres sur les préoccupations des députés concernant la protection de la population et des monuments historiques du Haut-Karabagh, le rôle de la Suisse dans le financement de la guerre dans le Haut-Karabagh, l’aide humanitaire suisse en faveur des réfugiés du Haut-Karabagh, l’échange des prisonniers et la récupération des dépouilles ainsi que le rôle de SOCAR (Suisse) dans le financement de la guerre qui a fait l’objet du postulat déposé par le Conseiller aux États Carlo Sommaruga le 10.12.2020. Par cette intervention, le Conseil fédéral était invité à établir un rapport détaillé sur les activités sur le territoire suisse et sur les liens et les flux financiers depuis la Suisse des entités de l’entreprise SOCAR, la compagnie pétrolière d’État de la République d’Azerbaïdjan, ayant leur siège européen en Suisse, quant au financement de la guerre notamment sous l’angle de l’acquisition de matériel de guerre et de l’engagement de mercenaires djihadistes syriens dans les hostilités. Malheureusement, le Conseil des États a rejeté le postulat le 18 mars 2021 par 22 voix contre 20.
J’aimerais ajouter qu’en novembre 2021, le PGArm s’est investi pleinement dans les démarches auprès de la direction générale des CFF et de la société d’affichage APG-SGA pour faire enlever rapidement les affiches publicitaires provocatrices et discriminatoires dans le cadre d’une campagne appelée La Clé dans huit gares principales (Genève, Lausanne, Berne, Bâle, Lucerne, Zurich, St. Gall et Lugano). L’action, couronnée de succès, a été menée en coordination avec l’Ambassade d’Arménie en Suisse et des particuliers qui se sont adressés directement aux deux institutions mentionnées.
Il est toujours délicat de bouger à l’intérieur d’un hémicycle sans froisser les gens tout en leur rappelant leurs responsabilités institutionnelles. Ce genre de groupes parlementaires sont constitués premièrement pour souligner les liens d’amitié entre deux États, deux peuples, et non pour attaquer un État tiers. L’Arménie n’a toutefois pas choisi ses voisins et le fait de vivre en constant danger à cause notamment de deux de ses États limitrophes ne peut que la pousser à solliciter la solidarité de ses amis lorsque son existence est mise en péril. Mais comme dans le cas de ce 30ème anniversaire, nous visons à ce que l’Arménie puisse gagner le poids qu’elle mérite dans la conscience du peuple suisse grâce à ses valeurs les plus importantes: sa culture et sa capacité de produire de l’intelligence et du bien être.¢
(Crédit photos: Photography Geneva)
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(*) Les ambassadeurs Achot Melik-Chahnazarov (1994-1996) et Karen Nazaryan (1996-2002) qui ont précédé M. Mnatsakanyan étaient des représentants permanents de l’Arménie auprès de l’Office des Nations Unies et des organisations internationales à Genève.
(**) Pour plus d’information, visiter: https://www.eda.admin.ch/countries/armenia/en/home.html.html