ENTRETIEN AVEC ZARA LAVCHIAN, CHEFFE DES PROJETS DE KASA
Depuis sa création en 1997 la Fondation KASA s’implique de manière privilégiée dans la formation, en particulier non formelle. Ces dernières années, KASA a commencé à travailler avec les acteurs du domaine de l’éducation formelle, un domaine qui fait partout face à des défis énormes, vu la transformation rapide du monde dans lequel nous vivons. Un de ses projets éducatifs est la chaîne Imastuni, créée en collaboration avec la fondation Paradigma et financée entre autres par la Fondation Covalence à Genève. Elle vise à fournir une plate-forme de dialogue constructif aux experts en éducation, enseignants, formateurs et autres personnes concernées par le domaine pour proposer des solutions créatives en réponse aux défis éducatifs actuels.
C’est dans les locaux d’Espaces à Erevan que Zara Lavchian, cheffe des projets de KASA, nous a reçus pour un entretien autour de ce projet passionnant.
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Artzakank : Comment l’idée de la chaîne « Imastuni » est-elle née?
Zara Lavchian: L’éducation a toujours été l’un des objectifs stratégiques de KASA, qui, tout en étant une fondation humanitaire, privilégie le développement avec comme devise: apprendre à pêcher plutôt que d’offrir un poisson. Or, il ne peut y avoir de développement durable sans éducation. Une éducation que nous entendons au sens large, à savoir la formation permanente dans différentes disciplines, via des méthodes variées et innovantes.
Après des années de travail avec les jeunes nous avons constaté qu’il était nécessaire de nous impliquer également avec les enseignants, les formateurs, les parents et les membres des ONG chargés de projets auprès des jeunes afin d’améliorer les conditions de formation des jeunes.
En 2019, KASA a reçu un mandat pour un projet de « formation au développement durable », dans le cadre d’un programme d’installation de panneaux solaires mis en œuvre par le Fonds arménien de France dans 20 localités de la province de Lori. Pour ce faire KASA a créé une plate-forme permettant aux éducateurs de se familiariser avec des outils et des approches pédagogiques innovants, tout en testant et en analysant ces derniers. Ce projet a rencontré un vif succès auprès des enseignants et nous avons reçu un deuxième mandat d’une année, qui a pris fin en avril 2023.
Par ailleurs nous avons réalisé un programme de sensibilisation au développement durable concernant un projet d’adduction d’eau potable, dans le village de Haykadzor à Chirak. Six enseignants de l’école du village ont été formés à l’utilisation efficace de l’eau, par le biais d’apports thématiques et d’une initiation à des méthodes pédagogiques actives.
Ces programmes nous ont permis de mieux cerner les besoins des enseignants en matière de méthodologie et d’outils. Forts de notre expérience dans le domaine éducatif, un fil rouge qui traverse l’ensemble des projets de KASA, nous avons eu l’idée de créer une plate-forme de réflexion pour les professionnels de l’éducation.
A : Comment cette plate-forme se présente-t-elle et qui sont vos partenaires et collaborateurs?
Z. L. : En 2020, nous avons lancé l’initiative Imastuni, une chaîne éducative destinée aux enseignants*, conjointement avec Paradigma, une fondation active en Arménie dans le domaine de l’éducation. Il s’agit d’une série de vidéos de 20-25 minutes qui, au début, étaient mises en ligne sur notre chaîne Youtube. Depuis février 2023, celles-ci sont diffusées une fois par semaine sur Boon TV, une chaîne télévisée privée, à contenu scientifique et éducatif.
Nous n’avons pas eu de difficultés à trouver des collaborateurs pour préparer ces vidéos car au fil des ans KASA, tout comme Paradigma, s’est constitué un vaste réseau d’experts et de spécialistes.
A.: Quels sont les thèmes traités dans ces vidéos et comment les choisissez-vous?
Z. L.: Nous avons choisi les thèmes les plus actuels et ceux qui suscitent de nombreux questionnements. Parmi les sujets déjà traités, on trouve les rapports entre l’éducation et des domaines tels que l’identité, la culture, la nature, la technologie et les arts ainsi que des sujets pédagogiques actuels comme par exemple l’apprentissage par projets et l’apprentissage par le biais de jeux éducatifs.
A.: Ces vidéos sont-elles accessibles au grand public? Les visiteurs ont-ils la possibilité de les commenter ou de poser des questions?
Z. L.: Oui. Au début, nous les annoncions sur notre page Facebook et les mettions en ligne sur notre chaîne Youtube. Les personnes intéressées pouvaient les regarder et y revenir. Ces vidéos ont été vues des milliers de fois et ont donné lieu à des commentaires très vivants. La plupart du temps, les enseignants s’interrogeaient sur la mise en application des idées et notions abordées dans les vidéos. La coordinatrice de la chaîne Imastuni, Arminé Hayrapetian, assurait le lien avec les enseignants et nous rapportait leurs préoccupations et suggestions.
C’est sur la base de ces échanges avec la communauté des enseignants, et en lien avec la communauté éducative et expérimentale d’enseignants, qu’est née l’idée de Imastuni Lab, une plate-forme réservée aux professionnels de l’éducation. Elle fonctionne en parallèle avec nos vidéos diffusées à la télé (Boon TV), mais joue le rôle d’un laboratoire où l’on peut faire des expérimentations. Il s’agit d’un processus à long terme: les enseignants regardent une vidéo sur un thème précis, lisent les documents mis à leur disposition, font des essais selon les instructions reçues, puis échangent avec les experts sur les résultats de leur expérimentation et reçoivent des conseils méthodologiques qu’ils pourront ensuite mettre en pratique. Pendant ce processus, qui dure environ un mois et demi, un certain nombre de mentors, spécialistes du domaine, encadrent les enseignants à titre bénévole.
A.: Collaborez-vous avec les services de l’État en charge de l’éducation?
Z. L.: Oui. Depuis quelques années, une réforme du système scolaire est en cours en Arménie avec l’introduction de nouveaux standards éducatifs et la mise en œuvre d’initiatives expérimentales. Une partie de cette réforme concerne le développement des compétences-clés pour l’éducation**. Suite à des discussions avec le Centre national pour le développement et l’innovation de l’éducation (KZNAK), avec leurs experts, nous avons créé pour les 3700 directeurs et directeurs-adjoints des écoles en Arménie des cours de formation en ligne en complément au vaste programme de formation qui est le leur, axé sur ces compétences-clés et les nouveaux standards. Je précise qu’il n’existait pas beaucoup de textes ou de matériel audiovisuel sur ce sujet en arménien, de sorte que nous sommes partis presque de zéro. Nos cours ont été mis en ligne sur la plate-forme d’enseignement Moodle, et c’est KZNAK qui, grâce à son réseau d’experts et de mentors, a mis en place des cours de formation en présentiel, des propositions de lecture, des travaux pratiques, un système de contrôle et d’accréditation. Les cours sont toujours accessibles en ligne.
En collaboration avec KZNAK, nous avons également organisé des soirées ludiques dans les provinces de Chirak, Lori, Armavir et Erevan avec les jeux d’éducation civique que KASA a développés ces dernières années. Ces soirées, qui réunissent chaque fois de 50 à 60 personnes – parents, enfants et corps enseignant – suscitent un tel enthousiasme que nous souhaitons les continuer.
Notre but principal est de soutenir les instances étatiques dans leurs efforts pour réformer le système éducatif, notamment par rapport aux compétences-clés mentionnées ci-dessus. Compte tenu des besoins et des succès rencontrés nous allons continuer à nous investir dans ce domaine via les plates-formes Imastuni et Imastuni Lab, nos cours de formation, nos supports méthodologiques et nos jeux éducatifs. Et nous le ferons d’autant mieux que nos projets éducatifs sont tout à fait en phase avec les objectifs pédagogiques du gouvernement. ¢
(Propos recueillis et traduits de l’arménien par M.S.)
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(*) Իմաստունի. կրթական ալիք ուսուցանողների համար (https://www.youtube.com/@user-jl7zj8om7p)
(**) En 2021 le gouvernement de la RA a approuvé au niveau secondaire les huit compétences suivantes: compétences littéraires et linguistiques, compétences d’apprentissage, compétences auto-cognitive et sociale, compétences démocratique et civique, compétences numérique et médiatique, compétences culturelles, compétences mathématique, et scientifique, technique, compétences économiques.
Cheffe des projets de la Fondation Humanitaire Suisse KASA, Zara Lavchian est éducatrice, consultante en politique de la jeunesse, auteure de matériel pédagogique et de manuels, dévelop-peuse de programmes et experte dans le domaine de l’éducation civique, des méthodologies d’apprentissage, de l’éducation non formelle, du travail avec les jeunes, les formateurs, les enseignants et les volontaires. Au cours des 20 dernières années, Zara a été impliquée dans la politique de la jeunesse aux niveaux national et international, et dans les processus de développement et d’institutionnalisation du travail avec les jeunes en Arménie. Elle possède une vaste expérience dans le développement et la promotion sur le terrain de solutions structurelles et de renforcement des capacités ainsi que dans la mise en pratique de politiques éducatives.