PIERRE-YVES VANDEWEERD

par Lerna BAGDJIAN

Les amateurs de cinéma auront probablement été interpellés par le mot “Ararat” et le détail “langue: arménien, turc”, parmi l’une des descriptions des films présentés aux Visions du Réel, le festival international de cinéma de Nyon du printemps dernier.

Inner Lines”, par Pierre-Yves Vandeweerd est un documentaire parcourant les territoires autour de l’Ararat qui a été sélectionné dans la Compétition Internationale Longs Métrages – Première Mondiale.

Vandeweerd est un cinéaste belge connu internationalement pour ses films engagés. Ses documentaires, tournés pour la plupart en pellicule 16 et super 8mm, réunissent des territoires et des guerres tombés dans l’oubli, et mettent en lumière des témoignages et récits de vie, par un geste cinématographique poétique et poignant.

Vandeweerd étudie l’anthropologie et les civilisations africaines, puis débute sa carrière d’enseignant comme assistant à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université Libre de Bruxelles.

Son parcours le fera voyager et explorer diverses cultures, notamment la, ou les cultures africaines. Il développe et dirige une résidence annuelle d’écriture et de réalisation documentaire destinée à des jeunes cinéastes sénégalais de 2004 à 2008, intitulée Cinéma(s) d’Afrique(s).

Il codirige le festival biennal du cinéma documentaire de la Communauté française de Belgique Filmer à tout prix, et enseigne dans diverses écoles prestigieuses, notamment au Département cinéma de la Haute Ecole d’Arts et de design (HEAD) de Genève, de 2018 à 2020.

«Dans le langage militaire, les inner lines sont des itinéraires de secours qui, tout en se situant à proximité des lignes adverses, échappent aux moyens de contrôles et permettent de prendre la fuite. Autour du mont Ararat, en Turquie et en Arménie, des messagers et leurs pigeons voyageurs parcourent ces voies parallèles, à la rencontre de communautés en prise avec les guerres».

 Son dernier long-métrage, Inner Lines (2022), met l’accent sur le traumatisme culturel des peuples du Caucase, une réalité éloignée de la conscience occidentale qui s’est déroulée et se déroule sous le regard témoin des monts Sis et Massis: les massacres et déportations vécues par le peuple yézidi, le génocide du peuple arménien, et la guerre actuelle en Artsakh.

Avec une approche à la fois poétique et solennelle, et un goût pour le détail, Vandeweerd met en exergue une esthétique du quotidien, pour démontrer le combat de la vie contre la mort. Des mains, des visages, des regards. Des pierres silencieuses, qui, si elles pouvaient parler, ne cesseraient de narrer les atrocités qu’elles ont vues. Des clairs-obscurs et des horizons à en couper le souffle.

L’usage de plans fixes équilibrés, plus ou moins longs, pour générer une émotion et une tension auprès du spectateur n’est pas sans écho à l’esthétique du cinéaste géorgien et arménien Sergeï Paradjanov.

De même que l’usage d’artefacts hautement symboliques, tels que la colombe, symbole d’évasion, de pureté, d’espoir et messagère de paix, figure qu’aurait lancée trois fois Noé après que l’Arche se soit échouée sur le Mont Ararat.

Vandeweerd n’est pas l’unique artiste belge à avoir cerné l’ambiance métaphysique qui émane de ces territoires chargés d’histoire.

En 2019, lors d’un cours d’art contemporain donné dans le cadre de l’orientation de master “art et architecture” à l’EPFL, j’ai eu l’occasion de me familiariser avec le travail de Francis Alÿs, artiste contemporain connu pour son approche conceptuelle autour d’enjeux urbains et géopolitiques.

Artiste-mobile, vivant entre l’Amérique du Sud et l’Europe, Francis Alÿs traite de thématiques qui font fortement écho au travail de Vandeweerd: frontières, territoires, traces, mémoire.

Après 20 pages de dissertation sur Alÿs, ce n’est que deux ans plus tard que j’ai découvert une de ses œuvres qui m’avait échappée en flânant à nouveau sur son site internet: “The Silence of Ani, Turkish-Armenian border, 2015, 13:21 min”.

Ce documentaire évoque “la ville aux 1001 églises”, capitale de l’Arménie à l’époque médiévale, actuellement en Turquie et en état de ruine. Un groupe d’adolescents se voient prêter des appeaux pour réactiver la ville. Petit à petit, le paysage topographique devient terrain de jeu, Du silence à la musique, les sifflets des enfants montent en crescendo collectif, rappelant les oiseaux qui animaient la ville autrefois.

Ce film en noir et blanc fait écho à la préservation de la mémoire d’un lieu, resté en suspens. Il est paru dans le cadre de la 14ème biennale d’Istanbul, 100 ans après la date qui marque l’avènement du Génocide des Arméniens.

Au travers de ses documentaires poignants tels que Territoire perdu, 2011, qui évoque la situation du peuple sahraoui, ou encore Le Cercle des noyés, 2007, qui relate le vécu des prisonniers politiques en Mauritanie, Vandeweerd met en lumière depuis plus de 20 ans des vérités sur le monde qui suscitent des bouleversements et des réflexions et qui méritent d’être partagées.

Ses réalisations sont à découvrir sur son site internet: https://pierreyvesvandeweerd.fr/

Les éternels, Pierre-Yves Vandeweerd, 2017

 https://www.charbon-studio.com/voir/eternels_HD-25_vo-stFR_son-stereo_hq

Inner Lines, Pierre-Yves Vandeweerd, 2022

https://vimeo.com/692004338/2461589b38

The Silence of Ani, Francis Alÿs, 2015

https://www.youtube.com/watch?v=c47JsX6I1pg

2023-07-07T22:55:49+02:00 07.07.23|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL, SUISSE-ARMÉNIE|