VAROUJAN CHETERIAN – RENCONTRE

par Lerna BAGDJIAN

L’été 2021 venait de refaire surface à Genève le jour où l’on s’est retrouvés sur un banc au Parc des Bastions, Varoujan Cheterian et moi-même, après de longues années. Après avoir échangé sur des formalités banales du type “que deviens-tu” ou “com-ment va la famille”, notre discussion s’est rapidement orientée sur ce qui nous a motivé à nous retrouver; nos volontés similaires pour tisser des liens avec l’Arménie relatif à nos passions respectives. Cet ami d’enfance de l’école arménienne, désormais âgé de 25 ans, me parlait alors de manière vague de fréquence, expérimentation sonore, et réflexion. Des mots qui l’embarquèrent dans une aventure un an après qui est loin d’être finie.

Varoujan Cheterian se définit comme artiste sonore et musicien électronique. En parallèle, il travaille également comme sound designer et ingénieur son. Suisse d’origine arménienne, Varoujan a toujours été plongé dans le monde musical et dans le milieu culturel genevois depuis son plus jeune âge. Très tôt, il s’approprie la scène musicale avec ses groupes de musique, enchaine les concerts et les enregistrements. Au conservatoire, il étudie la composition, l’électroacoustique ainsi que la batterie jazz. Après un bachelor en sociologie et relations internationales à Genève, il se redirige vers des études sonores. Il étudie actuellement aux Beaux-Arts de Berlin en art sonore et étude du son. “Je préfère largement souffrir des instabilités du “freelancer” que des contraintes du bureau moderne”, précise-t-il.

Une liberté, qui lui permettra de passer un mois en Arménie dans le cadre d’un projet artistique. C’est à la suite d’une résidence artistique au printemps 2021 en Espagne que Varoujan lancera cette initiative, soutenue par la curatrice de la résidence, Elena Azzedin. À l’aide d’une bourse européenne, Varoujan et Elena se rendent ainsi en Arménie accompagnés chacun d’un ami, Selu Herraiz et Sanjay Rai, photographes et réalisateurs. Le quatuor vivra durant un mois au diapason des mœurs de Byurakan, village arménien situé dans le marz d’Aragatsotn, pour mener des interventions artistiques dans un lieu atypique que Varoujan avait repéré au cours d’un précédant voyage: le télescope radioptique d’Orgov, unique télescope radioptique sur cette terre.

Ceux qui auront vu l’intervention live de l’iconique groupe arménien “The Bambir” auront repéré cette impressionnante coupole concave qui fascine plus d’un artiste. Le télescope radioptique d’Orgov, également connu sous le nom de ROT54, ou radiotélescope à miroir Herouni, a été construit entre 1975-1985 et a été actif entre 1986-1990 avant que son utilisation ne soit interrompue. Abandonné durant des années, il est désormais en processus de réactivation.

Au travers des interventions artistiques, l’idée que soutiennent Varoujan et ses collègues n’était pas simplement d’utiliser le lieu comme fond scénographique, mais de le considérer comme source première de création, chacun dans son domaine d’expertise. Elena pour les interventions, Varoujan pour le son. A l’aide d’instruments techniques de diffusion du son dans la matière, tels que des transducteurs, exciteurs ou encore microcontacts, Varoujan est allé à la rencontre du son de la matière elle-même, en y tapant dessus par exemple, ou simplement en observant la neige qui y fondait. « Parfois, on n’avait même pas besoin d’intervenir, la nature elle-même faisait les choses ».

Voilà déjà plusieurs années que Varoujan travaille sur la notion de réflexion d’acoustique et réverbération, ce lieu est ainsi pour sa recherche une très grande source de création. Par sa forme concave, le télescope métallique offre de larges variations de fréquences raisonnantes et des qualités sonores impressionnantes.

La bourse reçue était pour mettre en place une collaboration avec Bohemnots Radio, une radio arménienne de la scène artistique à Erevan. Par leur intermédiaire, Varoujan a eu l’occasion au cours de leur séjour de donner un concert à l’Ayrarat, bâtiment culturel iconique de l’ère soviétique, en y faisant ainsi partager les sons enregistrés au travers d’un set qu’il avait composé. Pour la suite, Varoujan tient également à se rapprocher d’avantage de la scène artistique de Yerevan, “un petit monde où tout le monde se connaît”. Varoujan observe que 80% des DJ et artistes musicaux rencontrés sont des femmes. “Tandis que le machisme et le sexisme est très persistant en Europe dans la sphère musicale, nous étions surpris en bien de voir la force des femmes et leur manière de s’assumer dans ce domaine ici. Il faut savoir que la guerre a laissé beaucoup de traumatismes psychologiques auprès des jeunes hommes”, précise-t-il.

Accueillis chaleureusement par les habitants de Byurakan, le quatuor s’est familiarisé avec la culture arménienne. Varoujan s’est rendu compte que les Arméniens avaient un rapport très ancien avec le cosmos et le ciel. Une fascination pour l’intangible que l’on retrouve dans ses recherches de tous les jours.

Constamment en investigation pour percevoir la matérialité du son, naviguant entre la technique et la création, l’on peut définir que Varoujan Cheterian est en quelque sorte un architecte du son.

Désormais de retour à Berlin, Varoujan a l’intention de réaliser un documentaire de ce projet, et d’ici quelques temps, une exposition. Tombés amoureux du village et de leurs habitants, Elena et lui-même seront de retour à Byurakan en septembre prochain.

Depuis longtemps, Varoujan puise dans ses origines et s’inspire des virtuoses de son domaine, tel que le grand compositeur Djivan Gasparyan, pour créer et chercher des synergies avec ses études. Ce premier projet concret in situ marque désormais le premier point de croix d’une longue broderie liant son domaine professionnel, sa passion, et sa patrie.

2022-05-09T21:48:11+02:00 09.05.22|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL, SUISSE-ARMÉNIE|