PORTRAIT – ANNA HESS SARGSYAN

par Lerna BAGDJIAN

“Laisse-moi activer la caméra pour te montrer nos frontières avant que l’on commence”, me disait Anna Hess Sargsyan en direct d’Arménie, le dimanche 15 août dernier.

Née à Kapan, Anna Hess Sargsyan est spécialiste en affaires internationales avec une vaste expérience dans les études de conflits et en médiation pour la paix. Elle m’a fait l’honneur de m’accorder une belle heure de discussion alors qu’elle était de visite dans la région du Syunik, plus précisément dans le village de David Bek, lieu d’origine de ses parents. Une heure d’intenses échanges qui m’a permis de retracer le parcours d’une des personnes les plus engagées pour la cause arménienne que j’ai croisées jusqu’à présent.

Anna Hess Sargsyan a 14 ans lorsque la première guerre éclate en Artsakh, plongée dans une atmosphère de résistance avec une mère très engagée, elle déménage à Erevan pour commencer ses études, avec l’ambition d’étudier les relations internationales. Ses motivations la poussent à poursuivre sa formation à l’université de Columbia aux États-Unis pour étudier les sciences politiques, elle obtient ensuite un second master en diplomatie et sécurité.

Après une première expérience professionnelle à Philadelphie au sein d’une société de conseil, elle rentre en Arménie pour six mois, et reçoit entre-temps une offre d’emploi pour Zurich au sein du ministère de la défense en relations internationales et sécurité. L’International Relations and Security Network (ISN) est un service d’information en ligne publiquement accessible traitant des relations internationales et de la politique de sécurité. La plateforme est opérée par le Center for Security Studies (CSS) de l‘École polytechnique fédérale de Zurich. Sa mission est alors de proposer des formations en sécurité et élaboration de politiques, et d’accompagner ainsi les étudiants de pays de l’Est pour réformer leur politique de sécurité.

En 2014, alors que la Suisse se prépare à présider l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), Anna Hess Sargsyan se retrouve confrontée à l’étude du conflit du Haut-Karabakh dans un cadre professionnel. Durant trois mois, elle est chargée de procéder à une analyse du conflit. “C’était une période très dure pour moi, je devais me confronter aux réalités de la guerre et de ses répercussions, tout en tentant de garder un point de vue objectif afin de gagner la confiance de mes interlocuteurs dans un cadre professionnel.”

Anna Hess Sargsyan travaille durant de longues années sur le soutien à la médiation et la conception de processus de paix avec un accent régional sur la zone de l’OSCE. Parallèlement à son travail pratique, elle est l’auteur de nombreuses publications. Ses intérêts portent sur l’impact des tensions géopolitiques sur le règlement des conflits prolongés Elle travaille également sur le Népal, la Géorgie ainsi que l’Ukraine.

En 2014, la guerre en Ukraine explose, et l’Artsakh passe en second plan, mais Anna Hess Sargsyan poursuit son travail et devient experte du Haut-Karabakh, et participe ainsi activement aux dialogues internationaux de médiation.

Dès les premiers jours de guerre en 2020 en Artsakh, Anna Hess Sargsyan mobilise des personnes qualifiées en gestion de conflits avec pour but de soutenir le gouvernement arménien dans les processus de négociation, et rejoint Genesis Armenia. Elle est nommée responsable du secteur “Diaspora” de Genesis Armenia, un groupe de réflexion indépendant et non partisan basé en Arménie créé en novembre 2020 immédiatement après la guerre de 44 jours de l’Artsakh. Avec une vision forte de servir les intérêts nationaux du peuple arménien, Genesis Armenia vise à consolider et à canaliser efficacement le potentiel intellectuel et professionnel panarménien pour renforcer l’État arménien en mettant en œuvre des projets ciblant les besoins socio-économiques de la population touchée par la guerre en Arménie et en Artsakh.

Depuis plus d’un an, Anna Hess Sargsyan met toute son énergie sur un programme de réintégration par l’éducation de vétérans de guerre, une cause qui lui est chère. La fondation Genesis Armenia et l’école française  et arménienne “Khelk” ont lancé la phase éducative du programme “Réintégration par l’édu-cation” pour des participants à la guerre de 44 jours le 1er septembre 2022. Le but de ce programme est d’intégrer les hommes qui ont participé à la guerre et acquis des handicaps dans la société par l’éducation. Durant 6 mois, 20 participants seront formés en informatique, communication et gestion, pour ensuite entrer sur le marché du travail informatique. Ce projet est co-financé par la FAF (French Armenian Foundation) et Genesis.

Inspirante, engagée et d’une énergie sans limite, Anna Hess Sargsyan poursuit ses initiatives mettant l’éducation à l’honneur en parallèle de son nouveau travail à Vienne. En septembre, Anna Hess Sargsyan a débuté un nouveau travail en Autriche, au sein de l’ASPR (The Austrian Study Centre for Peace and Conflict Resolution), orga-nisation non-gouvernementale pour laquelle Anna Hess-Sargsyan a pris la tête du département de médiation. Face à la situation géopolitique critique pour l’Arménie et l’Artsakh, Anna Hess Sargsyan s’exprime: “Nous (les Arméniens) aurions pu contrô-ler les dégâts, mais nous n’avons pas été capables de le faire, c’est encore possible, mais nous ne le faisons pas.” C’est malgré tout avec un voile d’espoir recouvrant sa voix que la conversation s’est clôturée.

2022-11-22T17:44:49+01:00 22.11.22|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL, SUISSE-ARMÉNIE|