par Philippe DERSARKISSIAN
Nous sommes dans le sud de l’Arménie, dans la région de Syunik, à 40 km de Sissian et à 240 km d’Erevan, à une altitude de 1’770 mètres. J’ai gardé de ce lieu que mon beau-père, Sergei, m’avait fait découvrir en 2010, un souvenir puissant, et même poignant! Zorats Karer aussi nommé «Karahunj», très souvent comparé à Stonehenge ou même Carnac en France (Bretagne), fait donc partie de ces sites pour lesquels nous ne pouvons qu’ébaucher des hypothèses.
En 2016, le très sérieux magazine «National Geographic» qualifie ce complexe mégalithique de Karahunj comme l’un des plus anciens observatoires du monde. Pour reprendre les termes exacts du magazine: Karahunj est même unique dans son genre car nous trouvons des menhirs, des cromlechs (mot d’origine bretonne qui signifie «pierres rondes» et en fait: un monument mégalithique formé d’un cercle de menhirs) et encore des dolmens et pour finir des vestiges de forteresses cyclopéennes c’est-à-dire d’anciennes structures architecturales caractérisées par l’utilisation de très grandes pierres brutes, massives, assemblées sans mortier. Le terme «cyclopéenne» fait référence à la légende des cyclopes (mythologie grecque) lesquels étaient dotés d’une force qui dépassait l’entendement.
Tout cela, ici, devant moi, 223 menhirs, sur un site de 7 hectares, tout à la fois «religieux» et scientifique un lieu séculaire de 7’500 ans. Pour vous situer cette période dans le temps: Ces monolithes sont antérieurs de 3’500 ans à ceux de Stonehenge et furent érigés 300 ans après les pyramides égyptiennes.
Comment, un jour d’il y a 7’500 ans, des hommes se regroupèrent-ils et décidèrent d’organiser, de construire, d’agencer, un tel endroit? Et pourquoi?
Ces menhirs sont en basalte et d’une taille allant de 0,5 mètre à 3 mètres et pèsent jusqu’à 10 tonnes. Pour 86 d’entre eux, et à 15-20 cm de leurs sommets, un trou de 4-5 cm de diamètre les transperce de part en part permettant l’observation équinoxes, des solstices, des constellations, une, en particulier, la constellation d’Orion que l’on peut observer par le trou de la plus haute pierre, durant la nuit du 10 au 11 août.
Pour vous décrire l’endroit en quelques mots, nous trouvons un cercle couvert de pierres. En son centre un reste de forteresse et tout autour les 86 menhirs qui permettent l’observation de la voute céleste en fonction de leur orientation.
Une «ficelle de pierre» (de simples menhirs) coupe ce cercle et aussi trouverez-vous ici et là d’autres pierres érigées et autres dolmens.
Ainsi chaque année, des jeunes mais aussi des plus anciens viennent se réunir ici, une communion populaire pour observer la constellation d’Orion, un ensemble d’étoiles qui tracent une figure lorsqu’on les relie par des lignes.
Ici, il s’agit d’un archer avec son arc bandé que nous, Arméniens, assimilons à Haïk le père de notre nation, suivant notre légende, et cette fameuse nuit du 10 au 11 août, toute cette population réunie à Karahunj fête le nouvel an arménien païen qui marque tout simplement la fin des récoltes estivales en chantant et en dansant ensemble un kotchari.
Une pratique ancestrale revît grâce à une communauté désireuse de redécouvrir et réaffirmer son héritage.
Plus sérieusement tout cela m’interroge. Quels liens peuvent avoir des civilisations qui créent des sites similaires à des milliers de kilomètres de distance les unes des autres?
Pourquoi des personnes se réunissent aussi à Stonehenge à l’aube des 20 et 21 juin pour observer et se redynamiser avec l’astre solaire qui brille en inondant de sa flavescente lumière ce lieu qui serait un calendrier solaire?
Alors pour Karahunj, je reste persuadé que ces hommes avaient ce désir d’observation scientifique, l’étude de la voute céleste, de la lune pour leur subsistance, dans un premier temps, simplement pour organiser un calendrier des semences… mais aussi Karahunj joignait l’utile à l’agréable car, et je le ressens ainsi, il est un site de communion, de croyance, de lien social.
Mais…Karahunj! En voilà un drôle de nom! Il signifierait «Les pierres («kar» mais là vous saviez déjà, je pense!) et Hunj veut dire «sonner» en arménien.
Les «pierres sonnantes», j’avoue qu’à ce niveau je ne suis pas plus avancé mais nous avons un début de piste, alors je creuse, moi aussi…
En France, nous pouvons trouver des «pierres sonnantes» dans la vallée des Saints en Bretagne, ou le site mégalithique de Carnac que j’ai cité plus haut. Ainsi ces lieux renferment des roches capables de produire des sons particuliers lorsqu’elles sont frappées et émettent des vibrations qui résonnent à une fréquence spécifique utilisée à des fins artistiques, culturelles et puis j’ose le mot: religieuses.
Ceci est possible uniquement avec certaines variétés de pierres calcaires, de quartz ou de basalte. Le même phénomène et pratiquement les mêmes menhirs alignés à Carnac et à Karahunj! Curieux que Carnac ne s’écrive pas Karnac, non?
Quand je visionne les danses bretonnes au hasard de mes changements de chaines compulsifs, je le répète souvent à Naira: «T’as pas l’impression qu’ils nous ont aussi piqué notre kotchari, les Bretons?»
L’œil pour l’observation scientifique et les fréquences de sons divers pour la méditation et cette osmose (l’Homme n’est guère qu’un animal social).
Ces personnes qui se rassemblent ici, chaque année, ne le font pas que pour raviver une croyance païenne: Elles dansent et chantent spontanément alors que finalement Karahunj ne devrait être qu’un lieu de pierres érigées il y a 7’500 ans et aujourd’hui, sans grand intérêt.
C’est loin d’être le cas, mais vous devrez aller sur place pour le comprendre.
Vous avez la tête dans les étoiles et comme vous me lisez en janvier 2024, à tous je souhaite un joyeux Noël (celui du 6 janvier) et mes meilleurs vœux de bonheur et santé.
Le 25 décembre, savez-vous comment dit-on «joyeux Noël» en arménien?
Shnorhavor Surb Tsnund !
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