par Philippe DERSARKISSIAN
«Demain matin, départ 5 heure 30 et nous allons à la frontière direction Stepanakert, je dois y aller pour mon boulot, alors si tu veux profiter du voyage! Tu verras, il y a plein d’endroits absolument incroyables à découvrir !».
Nous sommes à Erevan, été 2008, à l’heure où la ville s’étire et commence à se réveiller au son des premiers klaxons.
Serguei a un vrai chrono suisse dans la tête et nous partons donc à 5:30 tapantes.
À un peu plus de 300 kms au sud-est de l’Arménie nous arrivons dans la région de Goris et Serguei précise: «Direction Tatev et ça risque de bouger un peu, enfin tu verras!».
Nous commençons alors à rouler sur une piste assez longue et très sinueuse, assez escarpée et parfois dangereuse. Le 4X4 japonais de Serguei franchit remarquablement les pierres de ce passage sans aucun problème particulier mais, cela limite tout de même la conversation. Nous sommes là, à chatouiller la montagne sur un chemin en zig-zag, secoués comme deux glaçons dans le shaker d’un géant. Parfois assez large par endroit, et… un peu moins à d’autres, ce chemin nous emmène au monastère de Tatev.
Mais, quelle récompense au bout de 40 minutes de franchissements divers et variés !
Tatev fut longtemps un site isolé en l’absence de voies carrossables et situé à une altitude de près de 1800 mètres.
Pas âme qui vive, ici : nous sommes seuls, juste Serguei et moi.
Je vois une longue muraille, construite pour se protéger des invasions, nous passons la porte et nous pénétrons dans la cour du monastère. Ce lieu dépasse l’entendement avec toutes ces constructions en un endroit aussi escarpé et accessible à l’époque uniquement avec des ânes ; et donc… Je relativise le «périple» enduré que je viens de vivre, assis dans un 4×4: J’observe la grande église Saint Pierre et Paul (Sourp Poghos-Petros) édifiée en l’an 1295 sur les fondations d’une ancienne église, elle-même construite en l’an 835-848, et encore les deux autres églises Notre-Dame (Sourp Asvadzadzine) et sa longue nef et encore St Grégoire (Sourp Grigor) et enfin la tombe de Grégoire de Tatev (1340-1411).
La coupole de Sourp Asvadzadine est impressionnante par son élévation (14ème siècle), et selon la légende, l’architecte Hovhan Vorotnetsi se serait exclamé, alors qu’il se trouvait sur sa coupole venant tout juste d’être construite:
«Togh Astvats indz ta-tev !» (puisse Dieu me donner des ailes), d’où l’origine du nom de ce site.
Alors je ferme les yeux et je m’envole, moi aussi…Je tourne les pages de la vie, et des années, 2008, 2009, 2010… et je me retrouve à Tatev, loin du sol…Très loin du sol…
Nous ne sommes plus en 2008 mais en 2019 avec Naira, ma compagne, Rita, Vahé et leurs filles.
Je suis dans un téléphérique sur les «Ailes de Tatev (The wings of Tatev) et nous nous dirigeons vers le «Tatev monastery Complex»…
Mon regard se dirige vers cette fameuse route qui zig-zague sur la montagne, un peu comme dans un dessin animé de Tex Avery.
A l’arrivée je vois des centaines de visiteurs qui passent très vite, trop vite à Tatev, à la boutique souvenirs et encore devant les églises et encore à côté du «Gavazan» que tout le monde voit mais que personne ne remarque car, ce n’est ni plus ni moins qu’une colonne cintrée de bandes de métal et enchâssée dans du béton et surmontée d’une croix sculptée (khatchkar) et…Sans aucune explication pour le visiteur. J’en entends un, s’exclamer en anglais : «C’est quoi ce machin ?».
Alors de nouveau je ferme les yeux, je suis seul dans la cour du monastère, nous sommes revenus en 2008, Serguei fait sa pause cigarette et contrôle son véhicule après toute cette agitation pour parvenir jusqu’ici.
Je vois le «Gavazan» et je m’en approche et, avec juste mon index tendu je touche la colonne et la fait se mouvoir très facilement par ma simple poussée, sans imprimer une force particulière. Elle est construite sur un dispositif oscillant, en créant une articulation par le vide entre la base de la colonne et son logement creusé dans son propre piédestal, plus haut les cintrages métalliques de cette colonne de 8 mètres, étaient munis de clochettes dont le son indiquait d’un tremblement de terre imminent et, l’oscillement de la colonne, du degré d’importance du séisme à venir :
Vous avez devant vous l’un des premiers outils de détection d’un séisme construit au 9ème siècle !
Il parait que cette tour faisait aussi peur aux guerriers seldjoukides, qu’elle terrifiait car ils la prenaient pour une colonne «diabolique» au point que ceux-ci, venus pour voler l’or du monastère, n’osèrent s’en approcher et mirent «juste» le feu dans l’enceinte du bâtiment.
Tatev fut donc construit entre le 9ème (en 844) et le 13ème siècle. De nombreux séismes le frappèrent, des invasions, des pillages seldjoukides (une tribu turcophone).
Au hasard de votre visite vous trouverez ici un moulin à huile (les plantes oléagineuses locales étaient le colza, le tournesol, le sésame, le chanvre et aussi la moutarde, le ricin…), aussi un four à pain, un tonir, une jarre enfoncée dans le sol pour cuire le lavach (pain arménien).
Entre 1385 et 1435, ce monastère fut une université qui abritait jusqu’à 1000 personnes (moines, professeurs et étudiants). On enseignait ici les matières religieuses et laïques, l’astronomie, l’architecture les mathématiques et encore la philosophie et l’enluminure.
Tatev fut endommagée par un tremblement de terre en 1931.
Les cloches de Tatev sont aussi la preuve d’une maitrise du moulage de bronze.
Elles ont sonnée sans cesse durant 700 ans et se turent quand l’évêché fut déplacé à Goris, en 1907.
En 1922 quand Tatev abrita de nouveau l’évêché, ses cloches se turent durant 70 ans pendant le régime soviétique.
Aujourd’hui, une cloche fonctionne toujours et l’autre est au musée du monastère.
Quelques mots sur l’histoire de cette fameuse ligne de téléphérique « Wings of Tatev » :
Elle est la plus longue du monde (au Guiness book) ! 5’752 mètres, et d’une seule section.
Ruben Vardanian, un homme d’affaires, a financé ce téléphérique réalisé en 2010 (coût: $ 16 millions).
L’ensemble des bénéfices engendrés par le téléphérique sont alloués à la restauration de Tatev.
Laissez-vous porter, dans tous les sens du terme.
Pour finir, un peu de patriotisme:
C’est la société suisse Garaventa AG qui a construit ce téléphérique.
Pas de panique : Elle a aussi produit le câble !
Laissez-vous porter sur les ailes de Tatev !
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