par Philippe DERSARKISSIAN
Nous sommes en octobre de l’an 64 apr. J.-C. à Neapolis (Naples). La chaleur est douce et très agréable, «l’Imperator» fait envoyer un char officiel au monarque et lui réserve un accueil digne de son rang: chaleureux et grandiose.
Tiridate 1er, premier roi d’Arménie est attendu à Pozzuoli (Pouzzoles) non loin de Naples par l’empereur Néron, juste à l’ouest de la citée, à l’amphithéâtre de Flavius.
La garde invite Tiridate 1er à se désarmer, car nul n’est habilité à rencontrer l’empereur avec une épée dans le fourreau.
Tiridate 1er refuse et consent néanmoins à lier son arme au fourreau afin de renvoyer un message de compromis et d’entente.
Néron donne des jeux, un spectacle d’un combat de gladiateurs mais aussi – et pour la première fois – de femmes gladiateurs, tout cela en l’honneur du monarque et ce dernier montrera, à cette occasion, sa dextérité au tir à l’arc: Néron est conquis et il l’est aussi par le refus du monarque à se désarmer en faisant le choix d’une ligature au fourreau plutôt que de rendre son glaive.
Nous sommes à 220 kilomètres de Rome et le Colisée (aussi l’amphithéâtre Flavien) n’est encore qu’un projet: Sa construction débutera en 70 par les mêmes architectes qui réalisèrent l’amphithéâtre de Flavius.
Tiridate 1er est quant à lui, plutôt timoré au sujet de Néron, le sentiment mitigé d’un monarque qui doit ménager deux empires: Parthes (à l’épicentre des cultures perse, grecque et arménienne) et Rome. Aussi l’ensemble des tensions et autres conflits qui en résultent, comme la destruction par Corbulo, gouverneur romain, de la ville d’Artachat alors capitale de l’Arménie mais aussi du temple de Tir-Appolon au sein duquel Tiridate 1er aimait à se recueillir en invoquant son Dieu: Mithra…
Néron voulait bien entendu éradiquer cette influence des Parthes aux portes de l’Empire…
Deux empires qui trouvèrent un accord «amiable» cependant. Ainsi Tiridate 1er, frère du roi des Parthes Vologèse 1er allait le lendemain être couronné roi par Néron. Les successeurs éventuels du monarque seraient quant à eux, princes, et l’accession au trône serait officialisée par Rome.
Comme dans le poème de Victor Hugo: Chacun en a sa part, mais tous l’on toute en entier.
Tiridate 1er séjournant à Rome prononcera le lendemain, un discours (en grec), en prêtant allégeance à Néron et à l’empire dans l’enceinte même du forum, un discours déférent, comme les diplomates de haut vol savent les proférer.
Rome savait recevoir! Étendards, drapeaux, et autres torches décorent et illuminent la capitale impériale en l’honneur de Tiridate 1er et celui-ci s’avançant au sein du forum au milieu de deux colonnes de soldats en habits rutilants et autres armures scintillantes, se dirige vers Néron entouré de hauts dignitaires.
S’agenouillant, Tiridate déclame: «Maître, moi descendant d’Arsace, frère des rois Vologèse et Pacorus, je suis ton esclave et suis venu vers toi, ma divinité, afin de t’adorer comme Mithra, car tu es pour moi mon destin et ma fortune.»
Et Néron: «Oui, tu as bien fait de venir à moi en personne, c’est dans une telle rencontre face à face que je peux rependre ma grâce sur toi car ce que ni ton père, ni tes frères ne t’ont légué ou donné, moi je t’en fais le don. Je te proclame roi d’Arménie afin que toi et les tiens comprennent que j’ai la puissance de reprendre les royaumes tout comme j’ai celle de les donner.»
Tiridate 1er gravit les marches qui le mènent à l’imperator, met un genou à terre, Néron pose le diadème royal sur la tête du monarque…
Les festivités continuent en l’honneur de Tiridate 1er qui finira par confier à Corbulo (qu’il admire beaucoup), qu’il est étonné et écœuré par l’arrogance de Néron.
Au théâtre de Pompée, à Rome, toutes les pièces d’ameublement seront pour cette occasion dorées.
L’historien Pline (né en 23 et mort en 79), qui assista aux festivités écrira: «Le théâtre, non seulement la scène, mais encore tout le pourtour intérieur, étaient dorés, et tous les objets qui y entrèrent étaient rehaussés d’or, ce qui fit donner à ce jour le nom de «jour d’or». Les voiles tendus en l’air pour garantir du soleil étaient en étoffe de pourpre; au milieu était brodé Néron, conduisant un char, et tout à l’entour brillaient des étoiles d’or.»
Je fais ici une parenthèse en faisant un détour par Venise. Ceux qui connaissent la basilique de la place St-Marc vont se souvenir du «Quadrige de St-Marc», 4 chevaux dorés qui s’inscrivent dans une niche sur une plateforme en façade de cette basilique.
Cette œuvre réalisée par l’artiste grec Lysippe (395 -305 av. J.-C.) appartenait à Tiridate 1er qui en aurait fait don à Néron en échange de la couronne… Cette œuvre fut dorée sur l’ordre de l’imperator.
Pour précision, le quadrige qui apparait en façade n’est qu’une copie et il faut se rendre à l’intérieur de la basilique pour observer l’œuvre originale qui orna, naguère, la statue magistrale de Néron.
Je précise pour clore que les avis divergent au niveau des historiens, à ce sujet: Tous ne sont pas d’accord sur ce don de Tiridate 1er… Mais j’ajoute que Pline, cité plus haut, en parle dans l’un de ses 31 ouvrages qu’il a consacré uniquement à Néron, dans lequel il précise même la technique employée pour la dorure «en feuille très mince et appliquée au mercure».
L’imperator reconnaissant, octroiera des subsides pour la reconstruction d’Artachat et d’Artaxata (autre capitale d’Arménie que Tiridate 1er renommera Neronia) et que Corbulo avait détruites.
Tiridate, l’allié fidèle de Rome, repartira en Arménie avec des architectes et autres artisans, et la demeure royale qu’était déjà Garni, s’embellira alors de colonnades et deviendra… un temple.
Comme je vous l’ai écrit précédemment, c’est ce que j’apprécie dans l’histoire d’un pays: de la simple pièce de monnaie antique qui traverse des temps immémoriaux à un temple hellénistique dont on se demande pourquoi il est unique dans un pays couvert d’églises et de monastères.
Garni est un ouvrage remarquable et exceptionnel car il est le seul témoin de l’Arménie païenne.
À l’aube du 4ème siècle, tous les temples païens, au nombre de 16, furent plus ou moins détruits par les masses ferventes, ce qui est compréhensible dans le contexte, et que nous regrettons bien entendu aujourd’hui car ces temples étaient les témoins de notre histoire.
La situation de Garni est différente et pourquoi le temple a-t-il été préservé?
Au départ c’est une demeure royale que Tiridate transforme en temple dédié à Mithra, ensuite il devient un palais d’été de la sœur du roi Tiridate III (de l’an 287 à 298).
Après la christianisation du pays, l’État et l’Église ont conjointement lutté contre les résurgences de paganisme ici et là. Avant de les détruire, l’Église se réapproprie certains temples: les mieux placés, les plus visibles, ceux situés sur un site judicieusement choisi, comme celui de Garni par exemple. D’autres temples étaient tout simplement détruits dès leur réappropriation et leurs pierres «recyclées» pour reconstruire une église sur le même site.
En 2018 une universitaire genevoise, Armenuhi Magarditchian, archéologue diplômée de l’UNIGE, a trouvé concrètement la preuve que Garni fut transformé en baptistère (chapelle destinée aux baptêmes). Ayant réalisée une étude très approfondie sur ce monument, Armenuhi Magarditchian, remarque un bloc de pierre «mal placé» intégré dans une colonne sur laquelle est gravé dans l’alphabet arménien, un bout de phrase «est le baptistère de cette église». La présence d’un conduit aménagé sous le sol et qui traverse l’édifice en son milieu, devenait évident: juste au centre de la pièce principale avait été creusé un trou qui se remplissait d’eau et devenait une cuve baptismale. Cette eau providentielle provenait d’un village ayant une altitude un peu plus élevée et c’est aussi, je pense, l’une des raisons pour lesquelles Garni fut préservé.
Garni, à l’époque de l’invasion arabe au 9ème siècle aurait aussi été transformé en mosquée et de nouveau en baptistère pour finalement être détruit, non pas par la folie des hommes, mais tout simplement par un tremblement de terre de forte magnitude en 1679 dont l’épicentre fut Garni. (Voir la photo prise par Josef Strzygowski en 1918 ci-dessous)
Les villageois n’utilisèrent aucune pierre de ce temple à des fins personnelles et, certains guides, sur place, ajoutent que les pierres étaient trop lourdes pour être transportées.
Cette réflexion n’avait pas convaincu Armenuhi Magarditchian, et j’abonde dans son sens et pense qu’aucun villageois n’aurait osé utiliser des pierres provenant d’une église ou de ce qui fait office d’église ou d’un baptistère, détruit par la nature ou le… divin.
Je laisse libre cours à mon cheminement et en déduis que la destruction de ce temple par la nature aura finalement laissé cette porte ouverte à sa sauvegarde car…
… Intervient, l’architecte Alexander Sahinian, à qui est confié la reconstruction de ce temple «omniconfessionnel» (si je puis me permettre) qu’il réalisera de 1968 à 1976. Il réutilisera ainsi 80% des pierres d’origine et commettra cette erreur que notre universitaire genevoise a relevée. La réalisation d’une «anastylose» (du grec «remonter») consiste à remettre ensemble les pièces originales d’un
bâtiment détruit par un tremblement de terre et les ajouts nécessaires à cette reconstruction doivent toujours être différenciés afin de rendre le bâtiment «lisible».
Mais une erreur d’interprétation est toujours possible!
On lui pardonnera, l’architecte était face à un jeu de construction gigantesque, et… rien de plus. Comprendre systématiquement quelle pierre va sur quelle autre… Pas aisé!
Si vous en doutiez, essayez la même chose avec un meuble en kit de 2023, sans plan de montage, par exemple…
Notez aussi qu’à 50 mètres à côté de ce bâtiment, ont été construits des thermes romains, que peu de personnes visitent car ne les remarquent pas forcément. Ils sont constitués de 5 salles: un vestiaire, 3 piscines d’eau chaude, d’eau froide et de bain tiède et d’une étuve.
De l’Arménie en passant par Naples, un couronnement à Rome en coupant par la place St-Marc et encore un détour sur le travail de Armenuhi Magarditchian, archéologue UNIGE.
Tout cela à commencé par une visite à Garni.
Du premier roi d’Arménie… à l’anastylose.
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