par Philippe DERSARKISSIAN
Une silhouette trapue, toute de noir vêtue, se détache dans l’embrasure étroite de la porte: Un seuil inondé de lumière; La vieille dame vient de gravir avec beaucoup d’efforts, les huit marches assez hautes qui la conduisent en surface, et puis, se ressaisissant, elle se hâte… Mais avec lenteur, pour vaquer à ses occupations et disparaitre dans la lueur du jour au milieu des touristes. Je l’avais vu prier, serrant sa petite croix dans sa main, allumer une bougie et puis s’en aller. Comme si depuis notre enfer elle rejoignait la lumière. Curieuse allégorie.
Moi-même, depuis en bas je ne vois que ce puits de lumière et le ciel diaphane.
Je suis dans un tombeau, dans un demi-sous-sol, d’une église, certes, mais qui a un plan très particulier: Soit vous descendez avec prudence les hautes marches, pour accéder à un tombeau soit vous montez avec précaution à l’oratoire par deux escaliers très étroits et en porte-à-faux situés sur la façade et qui se rejoignent à la pointe d’un triangle matérialisé par la porte de cet oratoire dont je vous donnerai quelques précisions un peu plus bas. Il est lui-même couronné d’une rotonde avec ses douze colonnes dressées sur un tambour cylindrique et qui supportent un dôme conique, une évocation de la voute céleste.
Nous sommes à un peu plus de 120 kms d’Erevan, dans la région de Vayots Dzor, que j’apprécie tout particulièrement, dans le complexe monastique de Noravank.
En ce lieu, vous découvrirez deux églises, Sourb Astvatsatsin (Sainte Mère de Dieu) qui fut achevée en 1339 et encore la deuxième église de Sourb Karapet, la plus ancienne, construite entre 1216 et 1227.
Noravank est un joyau enchâssé dans un cirque montagneux semi-circulaire aux parois abruptes et d’un rouge profond, bâti au sommet d’un canyon, et qui surplombe une rivière (l’Amaghou).
Il était l’un des centres religieux et culturels les plus importants de l’Arménie médiévale et fut fondé en 1105 par l’évêque Hovhannes, ancien abbé de Vahanavank. Peu avant cette période, en 989, Hovhannès «le scribe» copia un évangile pour le prêtre Stepanos, c’est l’évangile d’Etchmiadzine, avec ces pages miniaturisées, l’un des plus beaux exemples, et sans doute, parmi les plus anciens, et célèbres surtout, de l’art de la miniature arménienne, au passage, et même si je l’ai déjà évoqué ici il y a quelques temps: Allez au Matenadaran pour, entre autre, comprendre cet art.
Hovhannes fit ériger la première église de Sourb Karapet, car le sultan seldjoukide lui donna un titre pour sa construction en remerciement de l’aide de Hovhannes pour avoir guéri son fils. Cette première église fut donc construite entre le IXème et le Xème siècles dont il subsiste les vestiges encore très visibles aujourd’hui car elle fut complètement détruite par un tremblement de terre et reconstruite quelques mètres plus haut, sur le même site d’où le nom de Noravank, littéralement le «nouveau monastère» (mais après tout le Pont Neuf à Paris, n’est pas si «neuf»: Il fut construit sous Henri III en 1577…).
Devenu évêque, Hovhannes va fonder un monastère, suivi par d’autres moines et surtout aussi par son frère, le prince Hamtum qui enrichira ce monastère, qui deviendra un centre religieux de premier ordre dans la région, aussi avec l’acquisition d’une douzaine de fermes dans les alentours proches de ce centre.
En 1154 Hovhannes meurt et sera enterré sur ce site.
Alors la deuxième église de Sourb Karapet sera édifiée entre 1216 et 1227 à un jet de pierre de la Sourb Karapet originale (détruite par un séisme) sur ordre du prince Liparit Orbelian. Sous les auspices de cette noble famille qui gouverna la région de Siounik, le complexe était le lieu de résidence des évêques de cette région, avec son scriptorium qui produisit des miniatures avec une présence religieuse permanente jusqu’au XIXe siècle.
La façade occidentale de Sourb Karapet (dans le tympan supérieur au sommet pointu) est étonnante avec la représentation humaine de Dieu, avec ses yeux en amande, créant Adam à son image auquel une colombe donne le souffle de la vie avec la scène de la crucifixion et la présence de la Vierge qui évoque que l’humanité perdue par le péché du premier homme sera sauvée grâce au sacrifice du Christ.
Vous trouverez aussi, au mur nord de cette église, un ajout: La chapelle Sourb Grigor qui contient d’autres tombes de la famille princière.
Et puis je reviens à «l’oratoire» de Sourb Astvatsatsin (Sainte Mère de Dieu). Un oratoire est en fait une chapelle privée avec un accès volontairement assez difficile au second niveau d’un bâtiment: C’est un mausolée dynastique réservé aux seuls membres de la famille princière locale et des hauts dignitaires du clergé. C’est la raison pour laquelle il est situé assez haut.
On retrouve ce procédé dans certains édifices musulmans Seldjoukides ou même à Eghvard (à 15 kms d’Erevan): Dans la chapelle Sourb Astvatsatsin (Sainte Mère de Dieu) où les escaliers sont visibles au niveau de l’entrée, mais juste tout en haut dans l’appareil du mur (3 marches de part et d’autres) et donc nous pouvons imaginer que les fidèles «autorisés» n’y avaient accès que par des échelles de bois,
Donc à Noravank, Sourb Astvatsatsin, est en réalité une église commémorative, financée par le prince Burtel Orbelian, un monument funéraire, sans rez-de-chaussée mais uniquement un rez inférieur qui est un caveau familial, et pour nous un lieu de recueillement, et encore son étage supérieur (en forme de croix) qui est accessible uniquement avec ses fameux escaliers en façade.
Sourb Astvatsatsin (Sainte Mère de Dieu) est l’œuvre de Momik, un architecte, un sculpteur, un miniaturiste, un enlumineur qui l’a entièrement conçu et ce fut aussi son œuvre posthume, son tombeau est proche de l’église et si nous ne connaissons pas sa date de naissance nous savons qu’il est mort en 1333.
Momik se distingue par ses Khatchkars, ses «dentelles de pierre» et la finesse de ses sculptures par l’emploi d’un outil: Le trépan, qui permet une sculpture tout en finesse et en précisions extrêmes.
Vous trouverez l’un de ces khatchkars à Etchmiadzine, ses manuscrits qu’il a enluminés sont présentés à Vienne (au centre mékhitariste), aussi au Matenadaran.
J’ajoute pour finir, que Noravank mais aussi la haute vallée de l’Amaghou sont placés depuis 1996 sur la liste arménienne du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Alors, avant de vous quitter voici le programme pour l’un de vos futures voyages en Arménie:
En partant d’Erevan, direction le monastère de Khor-Virap, le creuset de notre religion, ensuite quelques photos du mont Ararat et direction Areni: Quand il y a du bon vin la gastronomie n’est pas loin! Et vous déjeunerez ici avec pourquoi pas la visite de la grotte, le lieu emblématique où fut produit pour la première fois, le vin, il y 5 500 ans…
Ensuite direction Noravank et retour à Erevan.
Si cela ne s’appelle pas une belle journée…
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