MYTHOLOGIE ET ARMÉNIE PRÉCHRÉTIENNE

(wikipedia)

Philippe DERSARKISSIAN

En septembre 2023, j’évoquais ici le temple de Garni, un temple construit au 1er siècle (76-77 après JC), l’unique témoin de l’Arménie païenne car l’ensemble de tous les autres temples – sans exception aucune – avaient été détruits et leurs pierres de nouveau assemblées pour bâtir des églises, sur ces mêmes sites, à l’aube du christianisme, qui devint en l’an 301 la religion d’État, en Arménie.

La sauvegarde du temple de Garni est due à différents épisodes lesquels mis bout à bout ont permis que nous le visitions aujourd’hui: De demeure royale sous le roi Trdat 1er, qui l’avait fait ériger, il devint ensuite un temple dédié à Mithra, puis palais d’été pour la sœur de Trdat III de 287-298.

Au IVème siècle Garni fut une église et aussi un baptistère (lieu de baptêmes), ce dernier point découvert tout récemment par une universitaire genevoise, Mme Armenuhi Magarditchian.

Au 9ème siècle: invasion arabe… Et l’église devint une mosquée et puis de nouveau… Un baptistère.

Année fatidique 1679, un tremblement de terre dont l’épicentre fut Garni détruisit le temple définitivement…Jusqu’à son anastylose (c’est-à-dire sa reconstruction à l’identique) par Alexander Sahinian de 1968 à 1976.

Cette époque païenne m’a toujours subjuguée et même si l’an 301 marque cette fierté que nous avons tous d’être les premiers chrétiens du monde, la visite de ce temple de Garni, et aussi l’origine de sa construction dédiée au culte de Mithra m’a fait découvrir d’autres horizons, sur notre si riche passé, d’autres portes que nous-mêmes, Arméniens de la diaspora devons ouvrir, par nos voyages et aussi par nos lectures et non par l’étude dans nos écoles, lesquelles ne peuvent pas aborder tous les sujets: C’est tout à la fois le plaisir de la découverte et aussi notre sauvegarde par la préservation de notre passé en l’apprenant et en le comprenant, et bien entendu un relai que l’on passe aux générations qui suivent, afin de préserver ce bout d’Arménie qui vit en nous tous, toutes ces petites flammes qui produisent une belle lumière.

Donc quid de Mithra que priait Trdat 1er dans le temple de Tir-Appolon situé à Artashat qui était alors la capitale de l’Arménie? Et pourquoi dédier le temple de Garni à Mithra?

Les emprunts à la religion de l’Iran ancien sont si considérables que l’on retrouve dans le polythéisme arménien les divinités les plus caractéristiques du zoroastrisme, une ancienne religion de la Perse antique, fondée par le prophète Zarathoustra vers le VIème siècle avant J-C. Ainsi le culte de Mihr pour les Arméniens, qui était le Mithra des Perses,  et que priait Trdat 1er était le Dieu du soleil et de la lumière et il était aussi associé à la justice et à l’amitié. Mihr était surtout le fils de Aramazd,  père de tous les Dieux et créateur du ciel et de la terre, et qui avait pour nom Ahoura Mazda chez les Perses et donc Aramazd chez les Arméniens (Zeus chez les grecs).

La divinité la plus en faveur dans cette Arménie préchrétienne était Anahit, la fille de Aramazd et sœur de Mihr la déesse de la fertilité, de la sagesse et de l’eau, la mère bienveillante et protectrice (Artemis chez les Grecs).

C’est pour avoir refusé de sacrifier sa statue en or que Saint-Grégoire le principal évangélisateur de l’Arménie, fut martyrisé…

Il y avait aussi le dieu Vahagn (Héraclès chez les grecs) le tueur de dragon, «le dur à cuir», le dieu du tonnerre, du feu, de la chasse et de la guerre.

Nané était la guerrière féministe de la mythologie arménienne, fille du Dieu créateur et sœur de Mihr et d’Anahit: Quelle famille!!!

Tsovinar, la déesse de l’eau de mer et de pluie et représentée sous la forme d’une sirène: Elle pouvait provoquer – à l’humeur – des sècheresses ou des inondations.

Astghik, la déesse de l’amour et de la beauté, associée à la fertilité, protectrice des artistes, et épouse de Vahagn.

Tir, Dieu de l’écriture, des sciences et des arts.

Voici donc la raison pour laquelle Garni fut construit: De demeure royale à temple païen, puis église, baptistère, mosquée, et de nouveau une église au fil du temps et des périodes. A la finalité lorsqu’on le visite on ressent clairement toutes ses énergies concentrées en un seul point depuis l’an 77…

N’oublions pas que beaucoup de ces pratiques païennes ont toujours cours, dans nos habitudes, parfois nos croyances, comme par exemple à   Karahunj, ce site merveilleux, le Stonehenge anglais, ou le Carnac français, que j’ai abordé il y a quelques temps, un ensemble de menhirs positionnés en cercle et pour chacun d’entre eux, un trou qui les transperce de part en part pour observer les étoiles et notamment la constellation d’Orion que l’on peut observer par l’orifice de la plus grande pierre durant la nuit du 10 au 11 août, et autant de personnes qui se réunissent ici pour danser et chanter spontanément, cette nuit-là, alors qu’à la finalité, Karahunj ne devrait être qu’un site de pierres érigées sans grand intérêt. Et pourtant c’est bien loin d’être le cas aujourd’hui: Il est toujours le lien social du peuple, un lieu de partage et de communion et depuis 7500 ans, un lieu d’observation des étoiles. Ainsi l’Humanité avant la religion avait déjà cette nécessité de croire en une puissance qui la dépasse et de vénérer le soleil, la lune ou une constellation, se réunir et se soutenir ensemble face à l’inexplicable, sous la voute étoilée.

Mais quid de l’Arménie encore un peu avant Trdat 1er lequel régna de 53 à 88 après J-C?

Un autre lieu incontournable, emblématique de l’Arménie préchrétienne: La forteresse d’Erebuni.

Erebuni et plus tard Irpuni, puis le «P» se transforme en «V» pour devenir Erivan et devenir: Erevan qui fut fondée en 782 avant J-C par le roi Argishti I d’Urartu.

Le royaume d’Urartu s’étendait de l’Arménie actuelle à la Turquie orientale jusqu’au nord-ouest de l’Iran.

Ce royaume est prédécesseur de l’Arménie moderne et a prospéré entre les IX et VI siècle avant J-C.

Il était connu pour la maîtrise de l’ingénierie, de l’agriculture et de la construction ainsi que pour sa stratégie guerrière.

 

Depuis la forteresse d’Erebuni située sur la colline d’Arin Berd à 7 km du centre d’Erevan, on pouvait contrôler les routes commerciales traversant la vallée de l’Ararat (très fertile) et la vue panoramique permettait une surveillance très efficace qui protégeait des risques d’invasions.

Les inscriptions en écritures cunéiformes (née vers 3400 avant J-C) découvertes à Erebuni nous donnent des précisions sur la culture, la religion, l’administration.

L’une d’entre elles est gravée sur une stèle de basalte, appelée le «certificat de naissance» d’Erevan et précise:

«Par la grandeur du dieu Khaldi, Argishti fils de Menua a construit cette puissante forteresse et l’a nommée Erebuni pour la gloire des pays biaïna et pour la soumission des pays ennemis. La terre était déserte et j’y ai bâti de grandes constructions».

Erebuni était une ville organisée sur un plan triangulaire de 3 hectares, fortifiée par de hautes murailles de basalte et de tuf avec un poste de garde sur l’entrée principale, le grand palais et sa tour carrée, sa cour intérieure et autres appartements et bâtiments de culte et de services.

Il n’en subsiste aujourd’hui que des ruines mais le site est un incontournable avec tout de même quelques fresques et autres colonnades, et bas-reliefs.

Un musée présente des objets du quotidien, des lampes à huile, des bijoux, des poteries pour la conservation du vin, de l’huile, et de graines diverses, des objets de culte représentent la fécondité l’abondance la résurrection ou la mort et aussi quelques pièces de monnaie.

Passionnant!

Comme nous sommes, à la rédaction de ce texte, le 26 décembre 2024, je vous souhaite, d’avance, et à tous, un:

Chenoravor Sourp Dzenount!

…Et comme je suis superstitieux, vous souhaiterai la bonne année quand elle sera là! Sans doute encore l’un de ces vieux héritages d’il y a bien longtemps…

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2025-01-10T14:24:04+01:00 10.01.25|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL|