Philippe DERSARKISSIAN
Cette histoire commence par une question simple à laquelle aucune personne de mon entourage proche, où un peu plus éloigné parfois, ne m’avait jamais apporté de réponse satisfaisante.
Quelle est la signification de Vardavar?
Et même, si je n’y ai jamais participé, je me souviens de vidéos, sur Facebook ou Instagram, de personnes de tout âge s’asperger allègrement et mutuellement comme de pacifiques règlements de compte ponctués de rires avec pour toile de fond une belle ambiance et des souvenirs dont chacun se souviendra, bien entendu.
Alors au maximum je devais me contenter d’un «c’est une tradition! En Arménie tout le monde participe à ce type de manifestation, chaque année! Mais alors pour l’origine…Je n’en sais rien!»
Je ne connais pas de rassemblement similaire dans d’autres pays, et même si je trouve cette manifestation populaire absolument sympathique: quel en était la signification? Et puis était-ce – éventuellement – commémoratif? Et, alors, de quoi?
Déjà Vardavar n’a pas de date fixe, et, est lié au calendrier religieux arménien et pour être encore plus précis, cette fête tombe systématiquement quatorze semaines après Pâques.
Par exemple en 2025 Pâques (Zatik) est tombé le 20 avril et Vardavar, fut célébré le 27 juillet.
Comme souvent, le sens d’une fête populaire, puise sa source (c’est le cas de le dire, ici ), dans une tradition païenne et l’étymologie du mot Vardadvar a pour origine «Vard»: La rose et «Var»: asperger, verser.
Dans la mythologie arménienne, Astghik (qui signifie «étoile» et donc lumière celèste) était la déesse de l’amour, de la beauté, et des eaux célestes, l’une des figures les plus attrayantes du panthéon préchrétien arménien: L’incarnation de la féminité, elle répandait l’amour sur terre en versant des gouttes d’eau parfumée ou de rosée divine et donc les rivières et les sources lui étaient consacrées. Elle était la compagne de Vahagn, dieu du feu et du tonnerre et leur union symbolisait l’équilibre des éléments: Le feu et l’eau, la guerre et la tendresse, le ciel et la terre.
Les temples d’Astghik étaient donc souvent bâtis très proches des rivières ou des sources et ces principaux temples se situaient à Ashtishat dans la région de Taron ou Artashat qui fut l’ancienne capitale royale.
Les prêtresse d’Astghik accomplissaient des rituels d’ablution symbole de purification et de fertilité.
Cette fête de Vardavar toujours célébrée aujourd’hui à donc pour origine le culte de la déesse Astghik: La fête de l’eau, de la lumière et des fleurs: On chantait et dansait autour des sources en s’aspergeant d’eau pour attirer la bienveillance d’Astghik en décorant la statue de la déesse, de roses.
Un culte naturaliste, ou en d’autres termes une vénération de la nature c’est-à-dire que l’on priait face à un rocher, une source ou un arbre… Ou même parfois, l’on attachait un ruban à un arbre pour qu’un vœux se réalise. Ce rite populaire qui se perpétue, encore, jusqu’à aujourd’hui et que vous avez pu observer à Sevan, pas très loin des deux églises ou du monastère de Ghegard ou de Khor Virap.
Et puis à l’orée du IVème siècle (en 301), lorsque l’Arménie devint chrétienne, il fut évident qu’il faille conserver cette fête, cette liesse populaire…Et donc l’Église reprit cette fête païenne en la rattachant à la Transfiguration du Christ qui occupe une place capitale dans la spiritualité de L’église apostolique arménienne.
Jésus monte sur le mont Tabor avec Pierre, Jacques et Jean, un halo lumineux les enveloppe et une voix céleste dit: «Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le».
Cela annonce la résurrection et la divinisation de l’humanité, cette possibilité de participer à la lumière divine.
Ainsi cette Transfiguration de Jésus est célébrée le 7ème dimanche après la Pentecôte (c’est-à-dire entre la fin juin et la fin juillet).
Une fête majeure, comme le sont Noël, Pâques, l’Ascension et l’Assomption.
Le jour de la Transfiguration est appelé Vardavar et les aspersions d’eau sont devenues des symboles de purification et de bénédiction et l’eau n’est plus offerte à Astghik, mais à Dieu qui transfigure la création.
Cette eau, symbole de rosée céleste, de la lumière du mont Tabor et de la renaissance de l’âme.
C’est ce que l’on appelle un syncrétisme religieux: en d’autres termes, ici, la fusion des pratiques païennes et de la foi chrétienne.
Cette culture initialement païenne amena naturellement les hommes à bâtir leurs temples, et plus tard leurs églises, autour de ces sources d’eaux. Elles sont souvent associées à un saint ou à un miracle.
Cette vénération autour de l’eau n’a donc jamais disparu mais avec le christianisme, les saints ont remplacé les divinités comme si le flux de l’eau assurait le lien entre le ciel et la terre.
Ainsi partout en Arménie vous trouverez des sites avec des eaux «sanctifiées» qui jaillissent au pied des églises ou même à l’intérieur des monastères.
Le temple de Garni par exemple. En 2018 une universitaire genevoise, Armenuhi Magarditchian, archéologue de l’UNIGE, a trouvé concrètement la preuve que Garni fut transformé en baptistère (chapelle destinée aux baptêmes) par une source d’eau naturelle qui parvenait par le biais d’un conduit, jusqu’à un trou creusé en son milieu.
Le monastère de Ghégard est encore un autre exemple concret avec, là encore, une source d’eau naturellement bénite où tout le monde se presse. Aussi dans les monastères de Tatev, ou Sevanavank ou Noravank…
Ou plus symboliquement le monastère de Khor Virap dont la tradition chrétienne affirme qu’une eau miraculeuse permettait à Saint Grégoire l’Illuminateur de survivre même s’il ne s’agit que d’une légende: Cette «eau» est un symbole de la grâce, de la foi nourricière et de la renaissance spirituelle et nous n’avons aucune trace archéologique de la présence d’eau, ici.L’eau, lieu de rencontre, symbole identitaire urbain ou encore symbole de pureté et de partage: Il suffit d’arpenter les rues d’Erevan, la seule ville au monde où les fontaines sont présentes partout, ces fameux «pulpulaks» autour desquels je n’ai jamais vu autant d’assoiffés attendre leur tour en attendant qu’Erevan leur souhaite sa bienvenue par cette offrande spirituelle et salvatrice comme il est de tradition de le faire à un étranger qui vous visite.
Alexandre Dumas écrivit dans «Voyage au Caucase» (1859): «Quatre fleuves descendaient du paradis terrestre pour arroser la terre d’Arménie: le Tigre, l’Euphrate, le Phasis et l’Araxe. C’est là que Dieu avait planté son jardin, et que l’homme avait goûté la première eau du monde».
Et votre humble serviteur d’ajouter que sur cette même terre d’Arménie, l’homme a aussi goûté le premier vin du monde, c’était à Areni, il y a de cela 6’000 ans.
Alors santé!
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