DEUX ISABELLE ET … DEUX LÉON EN UN!

Philippe DERSARKISSIAN

Il était une fois une très jolie princesse, et dans les contes et légendes, les princesses sont toujours très jolies …Mais ici, il s’agit d’histoire.

Notre Isabelle est connue des historiens, et, je le pense, par très peu d’entre-nous. Et, me concernant, c’est en visitant le marché de Vernissage à Erevan – je l’avais déjà relaté ici, par ailleurs – que j’ai découvert son existence avec l’achat d’un Dram en argent (pièce de monnaie) frappée en 1188 pour commémorer le mariage d’Isabelle d’Antioche (ou Isabelle de Poitiers) d’avec le prince régnant Levon II.

J’étais venu pour acquérir quelques objets en bois, en pierre, en terre, ou en métal: De l’artisanat local, et je repartais avec un bout de notre Histoire une petite pièce de monnaie de plus de 800 ans, dans le creux de ma main: C’était quand même un peu mieux qu’un simple souvenir, et surtout c’est bien à partir de ce petit bout de métal que je me suis intéressé à l’histoire de l’Arménie médiévale.

Donc, il était une fois une très jolie princesse de souche française, descendante directe de chevaliers (les Croisés) et princes franco-normands établis au Levant après les croisades, la bien nommée Isabelle d’Antioche laquelle fut choisie par le prince régnant de la Cilicie, Levon II.

Ils convolèrent en justes noces le 3 février 1188.

Antioche (ou Antakya, car elle se trouve en Turquie aujourd’hui) était une cité antique majeure, capitale de la Syrie romaine, un carrefour entre Orient et Occident, un centre névralgique du commerce, mais aussi le siège du patriarcat orthodoxe et l’on utilisa le nom de «Chrétiens» ici, pour la première fois pour désigner les disciples de Jésus.

La Cilicie, était, elle aussi, un épicentre des routes marchandes.

Les marchands étrangers (les Francs, les Génois, les Vénitiens, les Provençaux, les Languedociens, les Catalans…) choisirent la Cilicie pour ses ressources car le climat favorisait la culture du coton, du mûrier (nourriture principale des vers à soie), et de la vigne. Le bois y était abondant et largement utilisé pour les constructions navales. On produisait en outre de la laine et enfin le mot  «cilice» est à l’origine un vêtement grossier, fabriqué sur place et tissé avec des poils de chèvre et que l’on devait porter directement sur la peau pour provoquer cet inconfort, voir même de la douleur: Un instrument de pénitence ou de lutte contre les passions que certains religieux portaient.

Sa situation géographique était aussi parfaite avec un carrefour caravanier où aboutissaient les routes du sud: À partir du golfe persique, on rejoignait la Mésopotamie et la Syrie et par la route de l’est: l’Extrême-Orient à l’Asie Mineure par l’Asie centrale, en d’autres termes: La route de la soie.

Le roi Léon 1er

Par son développement de côtes il y avait encore des ports très accessibles et Marco Polo très impressionné décrivit cette activité portuaire dans son «Livre des Merveilles».

Donc, ce fameux 3 février 1188 marqua l’apogée de la Cilicie arménienne et cette union scella une alliance politique majeure entre la principauté arménienne de Cilicie et les états croisés voisins

Ce mariage était un tournant diplomatique très habile qui permit aux souverains arméniens de ménager ou de jongler avec les différentes influences latines, byzantines et islamiques en préservant leur indépendance et leur prestige.

Isabelle née à Antioche et qui appartenait à la noblesse franque orientale était donc un pont entre ces deux civilisations et ce mariage un pacte et … La stratégie supplante la passion, bien éloignée des contes et épopées populaires.

Le prince Levon II souhaitait ardemment cette reconnaissance des puissances occidentales, celle du pape et de l’empereur germanique, afin d’acquérir, à terme, la couronne royale.

Nous sommes bien peu documentés sur Isabelle, la reine sans titre, ou tout au moins, une princesse consort de fait. Quelle fut sa stratégie afin de rapprocher ou d’harmoniser l’Orient chrétien (arménien et apostolique) et l’Occident latin? Nous savons qu’elle fut active dans la diplomatie et les échanges entre Antioche, les ordres militaires (Templiers, Hospitaliers) et la cour de Cilicie. Cette carence de détails est due au fait que l’histoire retient beaucoup plus les faits militaires et les couronnements et un peu moins la stratégie diplomatique des femmes de pouvoir à l’époque médiévale, mais son rôle, nous le savons, fut fondamental.

Née vers 1160, elle mourut vers 1190.

En 1198, suivant les projets qu’il poursuivait, Le prince Levon II fut couronné officiellement roi par un légat du pape (c’est-à-dire un émissaire, représentant du Saint-Siège) et avec la bénédiction de l’empereur Henri VI du Saint-Empire Romain germanique. Le prince Levon II, devint alors: Le roi Levon Ier.  Et par voie de conséquence le premier roi d’Arménie de Cilicie: D’une principauté dont il était issu à un royaume qui venait de se créer d’où le changement de numéro.

Dès lors il centralisa le pouvoir, fortifia les villes, engagea une politique d’alliance avec l’Occident. Il chercha à rapprocher l’église arménienne de celle de Rome et ce projet d’une union entre ces deux Églises répondait à des motivations politiques car il souhaitait ainsi s’assurer de l’appui inconditionnel des puissances occidentales, face aux menaces récurrentes des seldjoukides ou des mamelouks.

Le pape de son côté, voyait dans l’Église arménienne, une Église orientale séparée et marginalisée qu’il avait le projet de ramener dans le giron catholique et cela provoqua des tensions internes parmi les religieux arméniens.

Mais pourquoi donc ces tensions et se schisme entre ces deux Églises chrétiennes?

En l’an 451 dans la ville de Calcédoine (à côté de Constantinople) des évêques se réunirent pour débattre de cette question: Qui est vraiment le Christ?

Et l’on décida que le Christ était une seule personne, en deux natures, pleinement Dieu, pleinement homme.

Les Églises d’Orient (arménienne, copte et syriaque) rejetèrent en bloc cette définition car pour elles le Christ n’était pas séparé en deux natures, mais réuni dans une seule nature divine et humaine. Donc ne voulurent en aucun cas reconnaitre ce fameux Concile de Chalcédoine.

De toute façon le peuple arménien ne voyait là qu’une trahison, spirituelle, culturelle mais aussi cultuelle, une perte d’identité nationale…

1210:  Levon Ier épousa en secondes noces, Sybille de Lusignan qui, grâce à ce mariage devint alors reine consort d’Arménie en donnant une forte impulsion aux relations et alliances franco-arménienne.

1216: Carnet rose, La petite Isabelle d’Arménie nait de cette union.

Mais en 1219, Levon Ier mourut et la petite Isabelle devint reine, alors âgée de trois ans. La régence est assurée par Adam de Baghras mais ce dernier sera tué en 1220 par les Assassins, qui était une communauté chiite très active à cette époque (le nom propre devenu commun vient de là)

Ainsi dans cette période trouble, plusieurs barons tentèrent de s’emparer du pouvoir souhaitant contrôler le trône par le mariage.

Le 25 janvier 1221 Isabelle se marie avec le prince Philippe d’Antioche mais certains historiens datent ce mariage vers 1222. La reine avait donc entre 6 et 8 ans et le prince entre 18 et 20 ans! Rien d’étonnant et ce n’était pas rare à l’époque car les familles royales ne voyaient dans ce type d’union qu’un accord politique, le mariage serait consommé plus tard ou pas!

«Le retour de la reine Isabelle» Vardges Surenyants (Galérie nationale d’Arménie)

Et pour Philippe et bien…Pas! Le prince Philippe et donc le «roi consort» s’installa en Cilicie. Il était plutôt dynamique mais son comportement agaça sérieusement la noblesse arménienne avec son exigence d’imposer d’abord les usages et ensuite le clergé latin: Oui Levon Ier avait essayé aussi, à son époque, et puis partisan de la modération et de la diplomatie insufflée dans l’ombre par la première Isabelle, avait renoncé tout en ménageant tout le monde.

Constantin, lequel annexa le trône à sa lignée sans faire de guerre, juste par alliance et habileté. Une habileté dont héritera d’ailleurs Héthoum Ier car même s’il est arrivé au pouvoir par une réaction anti-franque, il avait une politique extérieure très francophile tout en ménageant à l’intérieur le clergé et le peuple en maintenant une alchimie politique et religieuse arménienne, au moment le plus florissant pour le royaume d’Arménie.

Isabelle comme héritière unique, a ouvert la voie à une nouvelle dynastie qui avait cette capacité de s’adapter aux enjeux politiques et aussi militaire de cette nouvelle ère. Il y eut des alliances à large spectre notamment avec les Mongols. Cela contribuera à la pérennité du royaume bien après la chute des autres États chrétiens d’Orient.

Isabelle mourut en 1252 et Héthoum Ier en 1269

Il était une fois, une bien jolie reine, qui se maria avec un fils de bonne famille dont elle fit un roi. Ils eurent 8 enfants dont Levon III qui devint après Héthoum Ier, roi d’Arménie.

800 ans après, je me baladais à Vernissage où je glissais juste une petite pièce dans la machine à remonter le temps

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2025-07-11T16:30:53+02:0011.07.25|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL|

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